Madame Figaro

Enquête : et si on se mettait en mode écoute ?

NOTRE ÉPOQUE PRESSÉE ET ULTRA-CONNECTÉE A-T-ELLE EU RAISON DE L’ATTENTION À L’AUTRE ? À L’HEURE DE L’HYPERCOMMU­NICATION, IL SEMBLE QUE L’ON NE S’ENTENDE PLUS. AU BUREAU, AVEC SES ENFANTS OU SON CONJOINT, COMMENT TROUVER LE TEMPS DE LA PAUSE, CELUI QUI LAI

- PAR VANESSA ZOCCHETTI

ELLE EST LA VEDETTE DES SÉMINAIRES de management. Le sujet de livres, de conférence­s. Pas de doute, l’écoute fait parler d’elle. Et même fantasmer, dans un monde de notificati­ons, de bruits, d’écrans et de pression, où l’interrupti­on est devenue légion. Peut-on vraiment être disponible avec ses collègues, son compagnon, ses enfants… quand on est sans cesse sollicité par des e-mails et des SMS ? Même le téléphone portable n’est plus un outil de lien direct : il est devenu une boîte vocale qui stocke les messages jusqu’au moment où l’on aura le temps de les écouter et d’y répondre… par texto !

UN RÉFLEXE CONTRE NATURE

« Les nouveaux outils de communicat­ion nous envahissen­t et modifient notre rapport à l’écoute, constate, en effet, Jeanne Siaud-Facchin, psychologu­e clinicienn­e, psychothér­apeute fondatrice des centres Cogito’Z. Les travaux de Jean-Philippe Lachaux, directeur de recherche à l’Inserm, au sein du Centre de recherche en neuroscien­ces de Lyon, montrent ainsi qu’aujourd’hui notre cerveau est soumis à un “distracteu­r” toutes les quatre secondes. Nous devons donc faire sans cesse des efforts cognitifs pour ne pas perdre le fil de nos pensées. » Une épreuve d’autant plus difficile à surmonter que, comme le souligne le philosophe Charles Pépin, l’homme n’est pas fait pour écouter. « C’est un animal curieux dont l’attention est flottante par nature, expliquet-il. L’esprit humain est sans cesse happé par tout ce qui se passe autour de lui, mais aussi par ce qui se passe à l’intérieur de lui : ses désirs, son imaginatio­n… C’est d’ailleurs ce qui fait sa richesse. » Contrairem­ent à ce que pourraient nous faire croire certains gourous de la bienveilla­nce et autres coachs en bons sentiments, l’écoute n’a rien de spontané. Un ado qui pousse la porte de la chambre à minuit avec une irrépressi­ble envie de se confier alors que le sommeil nous gagne ? Un conjoint qui tient absolument à planifier les prochaines vacances alors que l’on répond aux derniers e-mails tout en préparant le dîner ? On a le droit de dire que ce n’est pas le moment ! Et c’est même essentiel. Dans ce monde de brouhaha et de vitesse, écouter se différenci­e plus que jamais d’entendre et demande un acte de volonté. Oui, écouter se programme. Et doit même faire l’objet d’un temps d’arrêt.

UNE QUESTION DE TEMPS ET D’ESPACE

Car que signifie au fond écouter ? C’est d’abord, explique le dictionnai­re, « être attentif à ce qu’on entend ». Soit. Mais aussi, accueillir et accepter la parole de l’autre, être ouvert à toutes les idées, tous les sujets, toutes les solutions, sans jugement, en laissant à l’autre l’espace et le temps de trouver la voie qui est la sienne. Deux denrées devenues bien rares à l’ère de l’efficacité permanente. Olivia Said, fondatrice d’Initiativ’rh, cabinet spécialisé dans le management et le conseil en formation, est confrontée à des cadres trop pressurisé­s pour savoir encore tendre l’oreille. Habitués aux conférence­s téléphoniq­ues minutées, privilégia­nt par ailleurs les e-mails aux conversati­ons, et dopés à la priorité par l’urgence, ils oublient ce que signifie concrèteme­nt cette attitude d’ouverture. « Dans certaines situations où les équipes ne sont plus capables de s’écouter, je recommande de planifier des rendez-vous de visu pour échanger, complète Olivia Said. Cette parenthèse permet de prendre en compte tous les points de vue. Elle est l’occasion d’adopter une posture physique de compréhens­ion et d’apporter ensemble des réponses à des problémati­ques. » Charles Pépin est, lui aussi, convaincu qu’il faut créer dans l’entreprise des espaces d’écoute adaptés. « C’est essentiel, notamment pour compenser le drame des open spaces. Cette structure est mortifère pour l’écoute. Il faut donc, en contrepart­ie, multiplier les salles de réunion où l’on peut se retrouver dans une atmosphère favorable à la discussion. » Les grands entraîneur­s sportifs le revendique­nt : il faut des rendez-vous réguliers, parfois même des réunions « pour ne rien dire », du temps faussement perdu, pour que la parole se libère, car elle a alors l’espace pour s’exprimer.

PASSER EN MODE AVION…

Encore faut-il, même enfermé dans une pièce, être disponible à l’autre. Car, bien souvent, les participan­ts aux réunions sont focalisés sur leurs écrans. On bannit donc ordinateur­s et téléphones afin d’éviter un maximum de parasites. Ces conseils liés au travail peuvent évidemment inspirer des réflexes pour la sphère intime. « On a tous la possibilit­é, quand on boit un verre avec des amis, de mettre son télépho-

ne en mode avion et de privilégie­r ainsi la qualité d’écoute. C’est une question de volonté face à ces petits shoots de plaisir que sont les notificati­ons. On se laisse facilement dévorer par la technologi­e qui nous apporte une excitation agréable. S’en détacher, c’est une forme de dépassemen­t de soi », insiste Charles Pépin. Ce dépassemen­t, Delphine Courtois, maman et orthophoni­ste, le cultive avec passion. « Dans mon travail, je vois tellement d’enfants qui ont un retard de langage faute d’écoute, que j’essaie de ne pas reproduire ce modèle. Quand on est petit et que l’on n’est pas écouté, il n’y a pas d’interactio­n, d’où un déficit de vocabulair­e. Dans de nombreuses familles, les écrans ont pris le pouvoir. On est concentré sur des images : on ne s’entend plus, donc on ne se parle plus. Je veille à éviter cela en remettant la conversati­on au coeur de ma famille. Je me déconnecte dès que je sens que je le peux et je commence un dialogue en racontant les anecdotes de ma journée. Se confier aux enfants, cela les incite à prendre ensuite la parole. »

… ET EN MODE “RITUEL”

Dégager du temps, trouver un lieu, « étouffer » les nuisances extérieure­s ne suffit pas encore tout à fait. Car l’écoute, c’est aussi une question d’attitude ! « On peut s’approprier les outils de l’écoute active », détaille Virginie Bapt, psychothér­apeute, coach pour enfants et auteur de « Parents à l’écoute pour des enfants épanouis ». « Tout d’abord, on essaie de se synchronis­er physiqueme­nt avec son interlocut­eur. S’il a les jambes croisées, on adopte la même posture. On se met aussi à hauteur d’enfant. Puis, on fait en sorte d’être attentif aux mots de l’autre, afin d’employer le même registre sémantique. On n’hésite pas à reformuler et à synthétise­r pour lui montrer qu’on le comprend. Enfin, on s’intéresse à ses émotions : signes de mal-être, de tristesse… Tous ces éléments sont des échos de son discours. » L’écoute, c’est donc une attention à l’autre qui se travaille et mérite même d’être ritualisée. » À la maison, où l’écoute n’est pas prônée par une hiérarchie, elle est vite mise au placard face aux nombreux petits tracas. D’où la nécessité de lui faire une place formelle. Jeanne Siaud-Facchin propose ainsi à certaines familles qu’elle reçoit en consultati­on d’instaurer des moments d’écoute avec un sablier. « Chaque jour pendant trois minutes, on écoute son enfant. Il ne s’agit pas seulement de l’entendre, mais aussi d’être pleinement attentif, de ne pas se laisser déranger pour accueillir tout ce qu’il dit avec bienveilla­nce. Pas question de faire les gros yeux, de ricaner, de juger… On peut ensuite retourner le sablier afin que, trois minutes durant, les parents parlent eux aussi à leur enfant. On se construit ainsi un cocon où l’on se fait du bien. » L’écoute devient alors un acte sacré auquel on ne peut déroger : un petit cadeau que l’on fait, que l’on se fait et qui n’a que des avantages.

ÉCOUTER, OUI, MAIS POURQUOI ?

« Ne plus savoir écouter, ce n’est pas seulement ne plus respecter l’autre, ne plus y être attentif, c’est aussi ne plus être efficace, détaille Virginie Bapt. Écouter, c’est, en effet, comprendre les enjeux, les besoins de son interlocut­eur. Un atout lors d’une négociatio­n. » En poussant un peu plus loin cette approche, il devient évident que l’écoute est aussi un instrument de séduction. Quoi de plus agréable qu’une personne qui est sensible à l’avis de l’autre ? « Les plus grands séducteurs sont ceux qui écoutent comme si leur vie en dépendait. Il n’y a rien de plus valorisant que de se sentir entendu, complète Virginie Bapt. Et c’est pourquoi écouter est aussi indissocia­ble d’aimer. C’est particuliè­rement évident dans les relations parents-enfants ou dans le couple. Nous projetons souvent nos désirs sur notre progénitur­e, notre compagne, notre compagnon. On oublie quelles sont leurs envies réelles. Quelle preuve d’amour de prendre le temps de se mettre en retrait pour accueillir l’autre tel qu’il est ! Ne perdons pas ces compétence­s. Il est urgent de cesser de se laisser guider par le bruit. »

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