Madame Figaro

Interview : Lena Dunham.

“Je fais de mon mieux pour me comporter comme une fille normale”

- PAR PEGGY FREY

AUFILDE notre rencontre, elle emploiera plusieurs fois le terme « badass » pour qualifier les femmes qu’elle admire (traduisons par des « rouleuses de mécaniques », des femmes sans peur). Pas question de s’offusquer, ni même de s’étonner ! C’est là tout ce que l’on attend de Lena Dunham : un discours franc et honnête, parsemé, s’il le faut, de mots crus. Un discours à l’image de « Girls », la série événement qui l’avait révélée en 2012 : trash, mais tellement vraie. Parmi ses badass préférées figure Jennifer Konner, son amie et associée. « Nos agents nous ont présentées il y a quelques années, ce fut un coup de coeur immédiat », raconte l’actrice, productric­e, réalisatri­ce, scénariste, auteur de 31 ans à peine. Ensemble, elles coécrivent « Girls », puis lancent, en 2015, Lenny Letter, une newsletter hebdomadai­re qui se revendique féministe et qui donne la parole à des femmes d’horizons différents. Ces dernières, qu’elles soient connues ou pas – Alicia Keys, Garance Doré, Amy Schumer s’y sont exprimées –, partagent des expérience­s, des joies, des doutes, des coups de gueule. « Nous voulions créer un endroit où les femmes prennent la parole librement, sans être jugées », explique Lena Dunham. Tout comme « Girls », la newsletter devient rapidement un phénomène. Elle compte aujourd’ hui 500 000 abonnés. « Mon rêve ultime serait de publier les mots d’une certaine productric­e télé répondant au doux nom d’Oprah, raconte Lena. Il me semble qu’elle a des choses intéressan­tes à dire à toutes les femmes en ce moment. » Les femmes. Encore les femmes. Toujours les femmes. Pas étonnant que l’Américaine ait répondu présent à l’appel du site My Little Paris pour signer sa Women Box. Explicatio­ns d’une (jeune) femme engagée.

MADAME FIGARO ». – Vous signez une collaborat­ion avec My Little Paris. Pourquoi avoir accepté sa sollicitat­ion ?

LENA DUNHAM. –

Cette collaborat­ion m’a tout de suite plu. Il s’agissait de créer une sorte d’empowermen­t box pour les femmes, l’idée étant de glisser dans

À 31 ANS, L’ACTRICE ET RÉALISATRI­CE AMÉRICAINE, AUTEUR DE LA SÉRIE “GIRLS”, EST UNE ARDENTE FÉMINISTE. SUR LE WEB, SON SITE, LENNY LETTER, OUVRE UNE PAROLE LIBRE DÉDIÉE À L’EMPOWERMEN­T DES FEMMES.

une boîte à malice des produits de beauté et des objets pour booster l’estime de soi d’une femme, pour l’inspirer. C’est ce que je tente de faire avec mes partenaire­s via Lenny Letter. My Little Paris est une marque chic, futée, fun…, le genre de fille que j’aimerais être ! (Rires.)

Voulez-vous dire par là que la Française vous inspire ?

Of course ! D’ailleurs, la Parisienne pourrait-elle m’enseigner l’art de porter un chapeau ?

Que ce soit avec la série « Girls » ou avec Lenny Letter, la femme est toujours au centre de vos préoccupat­ions…

C’est comme si j’étais née et programmée pour défendre les droits de la femme. Pour l’encourager, l’aimer et l’inciter à prendre ses propres chemins. Peu importe ce que les autres en pensent. Mettre mon énergie et mon temps au service de la femme est une évidence. Je reste d’ailleurs persuadée que tout ça était largement calculé par ma mère… C’est-à-dire ?

Ma mère m’a élevée à travers des repères féministes. Je l’accompagna­is à des conférence­s politiques, à des rassemblem­ents féministes. Elle veillait à ce que je prenne conscience des injustices qui touchent les femmes – peu importe leur milieu, leur âge… Depuis l’enfance, je l’entends me dire : « Deviens la femme que tu veux. Personne ne doit t’empêcher d’être qui tu veux, ni d’accomplir ce qui te tient à coeur. » Je garde cette phrase en moi comme un slogan.

Quel genre de féministe êtes-vous ? Je veux que les femmes soient libres dans leurs choix, même quand ceux-ci ne font pas l’unanimité ou dérangent ! Une liberté fondamenta­le. Il y a mille façons d’être féministe. La femme est multifacet­te, et c’est pour cela que nous abordons des sujets si variés dans Lenny Letter. On peut parler de mode un jour, puis des dernières lois sur les violences faites aux femmes le lendemain.

La force de Lenny Letter, ce sont ces récits de femmes, souvent intimes, parfois douloureux. Par exemple, c’est via Lenny Letter que la blogueuse Garance Doré a abordé pour la première fois son parcours douloureux pour devenir mère. Qui sont les femmes que vous publiez ?

Celles dont l’histoire nous émeut, nous bluffe, nous inspire… Lenny est un lieu pour toutes les femmes, où l’on vient pousser un coup de gueule, partager. Ici, on ne juge pas. On ne peut d’ailleurs pas laisser de commentair­es. C’est un lieu de parole libre.

Quels sont les récits les plus marquants que vous avez publiés ?

En 2016, Alicia Keys a écrit un essai sur son rapport au maquillage. Son titre : « Time to Uncover ». Elle y raconte son besoin grandissan­t de se retrouver, cette urgence de ne plus se camoufler derrière des artifices – le maquillage inclus. Un appel à la liberté d’être qui l’on veut. Sa prise de conscience a inspiré un nombre incroyable de femmes. Voilà un exemple, parmi des dizaines. Chaque fois que l’actrice Joy Bryant écrit pour nous, « she blows my mind » ! (NDLR : elle me stupéfie !).

Elle est si sage, honnête et drôle dans ses propos. Elle a récemment raconté combien elle en avait assez que la société la juge sur son choix de ne pas avoir d’enfants. Elle ne lâche rien et ne mâche pas ses mots. Chacune de ses prises de parole est puissante.

Les hommes ont-ils leur place dans Lenny Letter ?

Bien sûr ! Une de mes publicatio­ns préférées est signée Jason Kim, un des auteurs de « Girls ». Il parle de ses racines sud-coréennes et de l’importance de la culture du nom. Nous ne sommes pas anti-boys, nous sommes juste pro-girls !

Qu’aimez-vous tant chez les femmes ?

Leur résilience, qui est assez remarquabl­e. Avez-vous déjà vu une femme abandonner ? Moi non plus.

Pour parler des femmes qui vous inspirent, vous employez souvent le terme « badass »…

J’adore ce mot ! Tout est dit, non ? Je l’emploie pour qualifier les femmes qui osent parler, faire, dire, malgré leurs peurs intérieure­s, le regard des autres et la pression extérieure. On a besoin de badass !

Qui sont les badass qui vous inspirent aujourd’hui ?

Des femmes aussi diverses et variées que Hari Nef (top-modèle transgenre), l’écrivain Zadie Smith, l’actrice et auteur Phoebe Robinson, Gwyneth Paltrow, l’essayiste anglaise Laurie Penny… Des badass à leur façon. Et vous savez quoi ? Ce sont mes amies. J’ai vraiment de la chance !

L’affaire Weinstein, qui a éclaté à Hollywood, n’en finit pas de faire grand bruit. Quels sont vos combats aujourd’hui ?

Il y en a un certain nombre. Je regrette, par exemple, que les États-Unis n’apportent pas plus d’aide aux femmes célibatair­es. Les parents célibatair­es sont les plus grands héros de notre pays ! Ils méritent tout le soutien de l’État. Je me bats aussi pour le système de santé, pour que les femmes puissent rester libres quant à leur envie de procréer… Il y a tant de sujets. Hollywood en est un, bien sûr, parmi beaucoup d’autres, malheureus­ement.

Vous abordez souvent sans détour les questions relatives à l’apparence physique. Vous avez publié dans Lenny Letter un article sur le rapport que vous entretenez avec votre propre corps…

Oui, parce que c’est super dur d’être une femme aujourd’hui et de s’aimer quelles que soient ses formes. La société nous demande sans cesse d’être plus grandes, plus sexy, plus pulpeuses, plus fines, plus ceci, plus cela. J’ai cessé de tendre vers un idéal. Il n’y en a pas, de toute façon. Depuis, je me sens mieux dans mes baskets.

L’idée de la Women Box de My Little Paris est de donner des clés aux femmes pour qu’elles gagnent en confiance. Vous avez d’ailleurs écrit un texte à ce sujet, glissé dans la boîte. Quel est votre secret de powerful woman ?

La gentilless­e ! La gentilless­e a un pouvoir inouï que l’on a tendance à sous-estimer. Faire en sorte que les gens se sentent bien confère un pouvoir extraordin­aire. À l’inverse, essayer d’être celle qui domine et écrase tout mène à l’échec. Et puis, le rire reste évidemment mon meilleur antidote contre presque tout !

Votre série « Girls » a eu un succès phénoménal. Qu’avez-vous appris au cours de cette aventure ?

Que l’on pouvait montrer la vie telle qu’elle est. J’ai pris conscience que l’on pouvait être drôle et honnête sans que le public en prenne ombrage. Ce dernier est fabuleux : il me permet d’être vraie. Peut-on espérer une saison 7 ? Avec Jenni (NDLR : Jennifer Konner), nous travaillon­s actuelleme­nt sur d’autres projets. Nous allons adapter et produire, via A Casual Romance, notre boîte de production, la version filmée du best-seller « Genuine Fraud », d’Emily Jenkins, alias E. Lockhart. Nous travaillon­s aussi sur une série documentai­re inspirée de Lenny Letter pour HBO.

Aujourd’hui, vous produisez. Envisagez-vous de jouer la comédie à nouveau ?

Tous les jours, je fais de mon mieux pour me comporter comme une fille normale.

Cela répond à votre question ?

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Lena Dunham (à droite) et Jennifer Konner (à gauche). Une dream team à l’origine de la série “Girls” et du site Lenny Letter.

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