MARCELINE LORIDAN-IVENS La liberté de penser
Après-guerre, on ne parlait pas des camps d’extermination nazis. C’était indicible et irrecevable. Elle fut l’une des premières à les évoquer publiquement. Dans « Chronique d’un été », de Jean Rouch et Edgar Morin (1961), elle s’adresse à son père disparu à Auschwitz dans un monologue, place de la Concorde. C’est encore à lui qu’elle parle un demi-siècle plus tard, en 2015, dans « Et tu n’es pas revenu ». Marceline Loridan-Ivens a maintenant 89 ans, elle a perdu la vue, mais témoigne à nouveau. Accompagnée par la plume attentive de Judith Perrignon, elle parle cette fois de l’amour. Comment fait-on, quand on a été déportée à 15 ans, ensuite, pour aimer ? Elle retrouve les lettres de ses amoureux (dont Georges Pérec et Edgar Morin), quand, jeune fille à Saint-Germain-des-Prés, elle s’étourdissait d’une liberté des moeurs naissante et se cultivait avec férocité, pour tenter d’endiguer la douleur. Mais l’amour, c’était impossible. Elle dévorait ce que les hommes lui donnaient, « buvant l’énergie et les sentiments des autres », puis elle prenait la fuite, incapable de rien donner. L’un d’eux la qualifie de « si sauvage dans sa tristesse ». Elle revient sur l’échec de son premier mariage avec Francis Loridan, ingénieur en travaux publics, qui a attendu en vain qu’elle le rejoigne à Madagascar. Son corps aussi était sec, elle n’aura pas d’enfants. Et ce sont dans « les affaires du monde » qu’elle pourra vivre, se politisant de plus en plus, trouvant une issue dans le travail documentaire de longue haleine (guerre du Vietnam, Révolution culturelle en Chine…) qu’elle mènera avec son deuxième mari, Joris Ivens. Auprès de lui, elle put enfin, en réunissant amour et engagement, apaiser en elle la survivante. Qu’une vieille dame ayant vécu « le pire et le meilleur de l’humanité » nous offre un texte si plein de vérité et de charme mêlés est une chose si étonnante qu’on peut juste dire : merci.
1928 : naît à Épinal, le 19 mars. / 1944 : est envoyée à Auschwitz-Birkenau, puis Bergen-Belsen, puis Theresienstadt. / 1963 : épouse Joris Ivens après sa séparation d’avec l’ingénieur Francis Loridan. / 1972-1976 : le couple filme la Chine de Mao en pleine Révolution culturelle. / 2003 : réalise « la Petite Prairie aux bouleaux ». / 2015 : Grand Prix de l’Héroïne « Madame Figaro » pour « Et tu n’es pas revenu ».
“LE 17e PARALLÈLE” (1968)
Avec son mari, Joris Ivens, elle filme la vie de paysans vietnamiens sous le pilonnage intensif de l’armée américaine.
Capi Films et Argos Films.
DU MÊME AUTEUR “COMMENT YUKONG DÉPLAÇA DES MONTAGNES” (1976)
Un documentaire en12 films : une fresque sur la Chine de la Révolution culturelle, réalisée par le couple Ivens. Capi Films et INA.
“ET TU N’ES PAS REVENU” (2015)
Comme une lettre à son père qui n’a pas survécu à la déportation, elle revient sur cette folle douleur. Écrit avec la journaliste Judith Perrignon. Éditions Grasset.