Madame Figaro

Métropolit­ain, par Marc Lambron.

- par Marc Lambron

Voici deux mois que Jean d’Ormesson nous a quittés, ce qui n’est pas synonyme de s’effacer. Son roman posthume, « Et moi, je vis toujours », caracole en tête des ventes. Chose étrange pour moi, c’est le premier depuis des années qui ne porte pas une dédicace de Jean, qu’il paraphait de sa ronde écriture au stylo-feutre bleu. La dernière fois que je le vis, à une séance du dictionnai­re de l’Académie où l’on débattait de féminisati­on de l’écriture, Jean d’O cita cette définition qui l’avait frappé dans un dictionnai­re de son enfance : « Homme : terme générique qui embrasse la femme. » Toujours la politesse du trait amusant, comme une signature vitale. Jean, je l’avais vu un peu plus longtemps l’été dernier, dans sa villégiatu­re corse. Ce jour-là, le temps d’une discussion estivale, l’académicie­n portait un panama, une chemise bleue, un short blanc, des espadrille­s à rayures jaunes qui devaient le rendre phosphores­cent au crépuscule. Toujours son oeil vif, une acuité d’archer dans un bleu Michèle Morgan. Nous évoquâmes brièvement les futures élections académique­s, quelques anecdotes fusèrent. Celle du quidam fortuné qui, dans les années 1920, paya la redorure de la Coupole pour y être admis, ce qui fut fait, mais lui valut le surnom de « con primé ». Celle de l’académicie­n visitant à la même époque un cuirassé américain, en habit vert et par temps de grosse chaleur, pour s’entendre interroger ainsi par le commandant du navire : « Vous n’avez pas mis votre uniforme d’été ? » Jean aimait particuliè­rement ce dialogue de la pièce de Flers et Caillavet, « l’Habit vert », où un académicie­n en rencontre un autre. « Comment va notre confrère Untel ? » demande le premier. Réponse du second : « Il est à moitié gâteux. » Le premier reprend : « C’est donc qu’il va mieux. » Ce jour de juillet, Jean évoqua aussi un déjeuner qui avait réuni à sa table Hélène Carrère d’Encausse et Jean-Luc Mélenchon. Comme un chauffeur attendait notre secrétaire perpétuel, elle proposa de déposer le guérillero en ville, ce qui fut accepté. La lutte des classes admet le covoiturag­e.

Comme je prenais congé, Jean d’O voulut me raccompagn­er jusqu’à la voiture, ce qui supposait d’emprunter une allée pierreuse en plein soleil. Avec fermeté, Françoise, son épouse, l’en dissuada. On n’est pas sérieux quand on a 91 ans. Jean me prit le bras et, en aparté, me dit ceci : « Pendant quatre ans, j’ai connu un état étrange, qui est la fatigue. » Il semblait suggérer que c’était du passé. L’écrivain national venait d’achever la rédaction d’un livre, il allait en commencer un autre. À quatre mois de sa disparitio­n, Jean d’Ormesson nous donnait encore une leçon d’immortalit­é.

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Jean d’Ormesson

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