Décodage : le bon goût, une affaire de goût. 56/Portrait : Timothée Chalamet.
D’UN CÔTÉ, LES CONVENANCES. DE L’AUTRE, LES OUTRANCES. QUATORZE PERSONNALITÉS DU MONDE DE LA MODE NOUS LIVRENT LEUR REGARD SUR UNE NOTION SOUVENT FLUCTUANTE.
TAPEZ SUR GOOGLE « BON GOÛT » et « citations célèbres ». Petit florilège : « Le mauvais goût a son droit autant que le bon goût » (Friedrich Nietzche) ; « La morale et le bon goût sont un vieux ménage, ils ont pour enfants la bêtise et l’ennui » (Francis Picabia) ; « Le bon goût est banal. Le bon goût paralyse. J’adore et admire tous ceux qui sont différents » (Jean Paul Gaultier). Soit. Voilà qui devrait décomplexer ceux que pétrifie ou intimide cette notion apparue en Europe à la fin du XVIIe siècle et récupérée dans un passé plus récent par la grande bourgeoisie.
« Cette dernière aurait multiplié les codes de bienséance – langage, vêtement, maintien – pour s’assurer un pouvoir symbolique sur ceux qui les ignoraient ou les maîtrisaient mal », raconte Didier Masseau dans son ouvrage « Une histoire du bon goût » *. La distinction bourgeoise ? « Elle tend aujourd’hui à perdre son prestige d’antan, voire à s’effacer, poursuit l’écrivain spécialiste des pratiques culturelles. Dénoncer ses marques désuètes est même dans l’air du temps. » Surtout dans l’univers de la mode, dont l’histoire n’a cessé de dézinguer le conformisme bourgeois, le bon ton, l’ennuyeuse distinction, lui préférant depuis longtemps l’insolence de la rébellion, le beau bizarre, le kitsch poétique, le BCBG déglingué ou l’élégant mauvais genre. Encore plus depuis l’arrivée et le succès phénoménal d’un certain Alessandro Michele chez Gucci, dont l’univers esthétique a bouleversé les conventions du chic minimaliste. Miuccia Prada, grande prêtresse de la mode, n’a-t-elle pas aussi souvent raconté son aversion pour la bourgeoise premier degré et sa sympathie pour le laid ? « Tellement plus séduisant, plus excitant et surtout plus humain », selon ses propres mots. « La mode ne s’était jamais ouverte au moche, a-t-elle aussi raconté. J’ai initié cela, ce qui m’a valu bien des critiques. Mais le succès de Prada vient de là. » La beauté du laid comme rempart de la médiocrité et de la banalité ? Une esthétique du vice somme toute aristocratique ? Comme le disait une autre grande dame de la mode : « Un peu de mauvais goût, c’est comme une pincée de paprika. On en a tous besoin. C’est vigoureux, c’est sain, c’est physique. Je pense qu’on pourrait davantage s’en servir. Je suis uniquement contre l’absence de goût. » Elle s’appelait Diana Vreeland, elle était rédactrice en chef du « Vogue » américain et arbitre des élégances dans les années 1960.