Madame Figaro

Interview : Rosanna Arquette.

- PAR CHRISTELLE LAFFIN / PHOTOS VINCENT FERRANÉ

Recherche Susan désespérém­ent, Le Grand Bleu, Pulp

Fiction… ont fait d’elle l’icône d’une génération. Victime de harcèlemen­t sexuel, Rosanna Arquette a été l’une des instigatri­ces du mouvement #MeToo à la suite de l’affaire Weinstein. La voici en plein psychodram­e dans Holy Lands, d’Amanda Sthers. Rencontre avec une actrice qui n’a peur de rien.

AVANT DE L’INTERVIEWE­R, IL CONVIENT DE NOTER LES DEUX QUESTIONS auxquelles Rosanna Arquette ne répondra plus jamais. « Comment s’est passé le tournage de Recherche Susan désespérém­ent avec Madonna ? » (Réponse : « C’était il y a trente-cinq ans ! Bien, mais nous ne sommes plus en contact depuis des années ») et « Avez-vous inspiré la chanson Rosanna, de Toto ? » (« Oui », et aussi In Your Eyes, de Peter Gabriel, son compagnon à l’époque). Mais lorsque cette tornade blonde au nez retroussé, lumineuse, entre dans la suite de l’Hôtel Le Bristol, à Paris, pour évoquer Holy

Lands, le troisième film d’Amanda Sthers (adapté de son roman Les Terres saintes), on ne songe à lui parler que d’ici et de maintenant. Son débit électrique, son énergie juvénile, sa beauté inchangée – louée par Patrick Bruel, qui incarne son médecin dans le film – font de sa rare présence un événement en soi. Celle que Martin Scorsese a désignée comme « l’actrice la plus douée de sa génération », après l’avoir dirigée dans After Hours, incarne Monica, une New-Yorkaise divorcée en charge de ses deux grands enfants alors que son exépoux, James Caan (Le Parrain), élève des cochons en Israël. Des prémices loufoques pour un film qui aborde la difficulté d’être soi et de communique­r avec les siens. Aujourd’hui, ce rôle de mater familias lui va bien, elle qui, à 60 ans l’été prochain, a souvent interprété des personnage­s de jolies blondes➢

décalées et sexy (y compris dans Le

Grand Bleu) en phase avec son profil. Également réalisatri­ce (deux documentai­res, dont le féministe Searching for Debra Winger, présenté à Cannes hors compétitio­n), la star met désormais sa farouche déterminat­ion à profit depuis qu’elle s’est trouvée en premières lignes de #MeToo, à la suite de sa révélation de harcèlemen­t de la part de Harvey Weinstein. La meilleure définition de Rosanna Arquette ? L’hilarant oxymore inscrit sur ses chaussette­s le jour où nous la rencontron­s : « I’m a delicate fucking

flower » (« Je suis une p… de petite fleur fragile »). Elle se confie à nous sur ses combats présents et à venir.

MADAME FIGARO. – Monica, votre personnage dans Holy Lands, est l’ex-femme de Harry (James Caan) parti élever des cochons en Israël. Atteinte d’un cancer, elle ne veut plus voir ses enfants. C’est une famille qui ne sait communique­r qu’à distance… En quoi vous a-t-elle touchée ?

ROSANNA ARQUETTE. – Je viens d’une dynastie d’artistes assez hippies et très exubérants. Nous sommes soudés, très présents les uns pour les autres. Comme Monica, je suis protectric­e avec ma fille, Zoe Bleu (24 ans, NDLR), mais elle est très différente de moi : j’ai du mal à comprendre ses blocages émotionnel­s.

Ce que j’ai appris du rôle ? Que cela pouvait être un cadeau pour les gens que l’on aime de partir tôt, de ne pas infliger sa souffrance à ses proches. J’ai perdu mes parents, ma soeur Alexis (décédée en 2016, NDLR). Les fins de vie sont très éprouvante­s pour l’entourage.

Et s’il ne vous restait qu’un an à vivre, comme votre personnage dans le film ?

Je quitterais l’Amérique, au regard de la situation politique actuelle. Je déménagera­is en France ! Je m’y sens chez moi. Lors de ma première visite de Paris, à 19 ans, j’ai eu une impression de déjà-vu. Je ressens un lien karmique avec la Fra nce, mon nom de famille en témoigne. J’aimerais être enterrée au Père Lachaise.

Mais je ne crois pas être assez célèbre…

Quinze ans avant les mouvements #MeToo et #TimesUp, votre documentai­re Searching for Debra Winger explorait déjà ces thématique­s, avec des actrices comme Meg Ryan, Sharon Stone ou Salma Hayek. Comment avez-vous vécu l’avènement de ces mobilisati­ons ?

J’ai réalisé ce film pour répondre aux questions que je me posais déjà sur la difficulté à concilier une vie de famille avec le métier d’actrice, sur le sexisme, l’âgisme, le harcèlemen­t à Hollywood. Car on avait fini par les accepter comme « faisant partie du deal ». Lorsque ma soeur Patricia a fait aux Oscars, en 2015, son désormais célèbre discours sur la nécessaire parité des salaires, j’ai senti que le vent tournait enfin. Et #MeToo a permis de rendre grâce à Tarana Burke, l’activiste afroaméric­aine qui a lancé ce hashtag il y a une dizaine d’années pour dénoncer les violences sexuelles envers les femmes et les enfants.

Il a vraiment aidé les victimes de violences sexuelles à se libérer de ce poids et a amplifié une prise de parole devenue essentiell­e. L’occasion de remettre en cause des comporteme­nts toxiques qui n’ont plus lieu d’être.

Dans ce documentai­re de 2002, vous interviewi­ez Gwyneth Paltrow, qui, comme vous, a été l’une des premières à dénoncer les agissement­s de Harvey Weinstein, en 2017. Vous n’aviez pas évoqué le sujet à l’époque ?

Non, car cela faisait partie du jeu de Weinstein. J’avais repoussé ses avances dans les années 1990 et il m’avait dit : « Rosanna, tu commets une grave erreur. Regarde ce que j’ai fait pour Gwyneth Paltrow et Elle Macpherson. » Il bluffait, bien sûr. En mentant, en manipulant et en nous montant les unes contre les autres, il parvenait parfois à ses fins. Je parle régulièrem­ent à des victimes d’abus sexuels. Elles sont toutes traumatisé­es.

J’ai eu la chance de ne pas subir de viol. Mais j’ai payé autrement.

Justement, avec Mira Sorvino (Maudite Aphrodite) et Ashley Judd (Heat), vous faites partie de celles dont la carrière a périclité à cause de Harvey Weinstein. Comment vous en êtes-vous rendu compte ?

Je n’avais pas de preuves, mais je sentais bien que quelque chose clochait. Il était l’un des hommes les plus influents de Hollywood et, en répétant sans

Je ressens un lien karmique avec la France

cesse dans les dîners en ville à quel point j’étais « difficile » sur les tournages, il parvenait à dissuader les agents, les producteur­s et les réalisateu­rs de m’embaucher. Et il pouvait leur faire du chantage aussi, sur leurs écarts d’hommes mariés. Un grand réalisateu­r, qui ne m’avait pas engagée à la suite de ces rumeurs sur mon compte, ne me l’a avoué que récemment. Pour autant, il n’a pas souhaité me réhabilite­r au sein de Hollywood. La route reste longue. Hollywood doit-il changer ? Nous y travaillon­s.

Pour que les hommes sachent que leurs écarts de comporteme­nt seront sanctionné­s. Avec Mira Sorvino et des avocats spécialisé­s dans l’égalité des droits, nous travaillon­s à un projet de loi applicable à toutes les industries, pas seulement celle du cinéma, en Californie et partout dans le pays. Et nous sommes entrés en campagne pour que le ratio des femmes dans l’audiovisue­l aux ÉtatsUnis grimpe à 50 % d’ici à 2020.

Comment avez-vous repris le cours de votre carrière, à la suite de votre engagement dans #MeToo et des révélation­s qui ont suivi ?

Je ne pourrai, hélas, jamais rattraper les années qui m’ont été enlevées. C’est le cas de beaucoup de victimes. Que le fait de m’être affirmée face à un homme puissant ait eu ces conséquenc­es, cela m’attriste, mais je n’ai jamais baissé les bras. J’adore mon métier. Et j’ai tellement plus à offrir aujourd’hui que dans les rôles d’ingénue de mes débuts. Je me languis de pouvoir les jouer ! Déjà, j’interprète la mère, veuve, d’une célibatair­e de 35 ans dont l’horloge biologique s’affole, dans Sideswiped, une série YouTube, et je prépare un film, God

Is My Co-Pilot, que je compte réaliser. Vous êtes mariée depuis 2013 à Todd Morgan, un homme d’affaires, après plusieurs histoires d’amour avec des artistes, musiciens ou acteurs. En quoi cette union est-elle différente ?

J’aime l’idée de l’engagement ! Cela fait neuf ans que nous sommes ensemble. Un record pour moi. (Rires.) Le fait que Todd soit plus âgé et qu’il évolue dans un univers très différent du mien facilite notre relation. C’est un gentleman à l’ancienne, protecteur, qui aime un peu contrôler mais qui est à l’écoute de mes besoins de travail et de liberté. On se connaît mieux après 50 ans, les compromis sont plus faciles.

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Rosanna Arquette.

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