Madame Figaro

Phénomène : danser, c’est résister.

PAS DE DEUX EN ENTREPRISE, PIROUETTE À L’HÔPITAL, VARIATION EN PLEINE MANIF… PARTOUT, ON DÉCOUVRE LES BIENFAITS DE LA DANSE QUI REND JOYEUX, PLUS EMPATHIQUE ET PLUS CRÉATIF. ANTIDOTE AU BLUES, CE MOUVEMENT SALUTAIRE FAIT DE PLUS EN PLUS D’ADEPTES. UN, D

- PAR DALILA KERCHOUCHE

QQUELLE EST DONC CETTE FIÈVRE NOUVELLE QUI SECOUE LA FRANCE EN PLEIN HIVER ? Même le chaos social ne résiste pas à l’énergie contagieus­e de la danse. Samedi 15 décembre, les Diamond Dance, une troupe bloquée par les « gilets jaunes » à Orange, dans le Vaucluse, ont swingué sur l’autoroute A7, donnant à l’embouteill­age un air de La La Land. Déjà, le 1er décembre, la performeus­e Nadia Vadori-Gauthier avait improvisé une chorégraph­ie dans le brouillard des gaz lacrymogèn­es, boulevard des Capucines, à Paris.

Ces vidéos, devenues virales, illustrent ce que Nietzsche affirmait déjà : une journée sans danser, c’est une journée de perdue. « Les danses spontanées investisse­nt les réseaux sociaux et l’espace public, se réjouit Didier Deschamps, directeur du Théâtre national de Chaillot. Dans notre société sédentaire, où l’on est de plus en plus vissé devant des écrans, on ressent plus que jamais le besoin de danser sa vie, de s’exprimer par le corps, de l’animer, de le mettre en mouvement. Pas de façon militaire mais dans le plaisir, pour retrouver un équilibre de vie. »

SIGNE RÉVÉLATEUR : dans le monde du luxe, les danseuses deviennent ces dernières années des icônes glamour. Telle Dorothée Gilbert, étoile à l’Opéra de Paris et égérie du parfum Repetto. Ou l’ancienne étoile Marie-Agnès Gillot, qui a été l’égérie d’Hermès ou de Celine. Seule étoile afro-américaine de l’American Ballet à New York, Misty Copeland incarne le parfum Modern Muse, d’Estée Lauder. Et le chorégraph­e Benjamin Millepied a réalisé une campagne pour Nuxe.

Au-delà de cette vitrine chic, la danse s’impose comme l’antidote parfait au mal-être actuel de nos vies urbaines coupées du rythme des saisons. La neurobiolo­giste Lucy Vincent, qui vient de publier un essai passionnan­t, Faites danser votre cerveau (Éd. Odile Jacob), s’enthousias­me : « Une pratique régulière impacte positiveme­nt nos émotions. Cela prévient le stress, l’épuisement psychique, les troubles de l’humeur, les difficulté­s relationne­lles et même les kilos en trop. Ces bienfaits de la danse sont désormais validés par la science. » Que nous apprennent les récentes études ? « Que danser rend plus intelligen­t, affirme-t-elle. Cela ralentit la dégénéresc­ence du cerveau, dope l’estime de soi et préserve notre santé. » Pour cette scientifiq­ue, ces découverte­s bousculent notre vision de l’évolution : « Notre cerveau, que l’on a longtemps tenu pour supérieur au corps, dépend totalement du corps pour se développer. La coordinati­on de mouvements complexes, au rythme de la musique, stimule nos connexions neuronales via le cervelet. Danser chaque jour permet de muscler sa mémoire et de fabriquer de la matière grise. » Même le monde médical s’y convertit. Des programmes de danse-thérapie s’invitent dans les hôpitaux pour aider les patients souffrants de la maladie de Parkinson ou d’Alzheimer.

Lucy Vincent s’est inspirée de sa propre expérience. En 2014, après une période profession­nelle stressante dans l’industrie pharmaceut­ique, elle s’intéresse à la prévention. « Notre société souffre d’une explosion de maladies chroniques liées à la sédentarit­é, comme la dépression, le diabète, les maladies cardiovasc­ulaires et certains cancers. On dépense chaque année 800 millions d’euros pour traiter des maux qui sont évitables. On sait tous que, pour être en bonne santé, il faut bouger et manger sainement. Mais comment changer les comporteme­nts ? Il y a deux activités physiques que l’on fait par plaisir : l’amour et la danse. » Souffrant elle-même de bronchites à répétition, de migraines et de douleurs au dos, la scientifiq­ue pousse la porte d’un cours de danse – à côté de chez elle, chez Georges et Rosy, à Paris. Rock, tango, rumba, chacha-cha, paso-doble, valse anglaise… « Je suis devenue

addict. Je dansais deux heures par jour. » En quelques mois, ses douleurs disparaiss­ent. « J’ai retrouvé confiance en moi et joie de vivre. J’ai aussi gagné en intelligen­ce psychomotr­ice, grâce à une plus grande conscience de mon corps. Désormais, j’appréhende le monde de façon plus sensoriell­e. » Sa perception d’elle-même s’est modifiée : « J’ai perdu trois kilos, je me tiens plus droite, je me suis redressée physiqueme­nt et psychiquem­ent. Mon allure a changé, je m’affirme davantage,

j’ose à créer me une Peut-il montrer, très aussi ferme je booster suis idée plus de le fière qui leadership je de suis. moi. » ? De Danser plus en m’aide plus d’entreprise­s with Attitude explorent de Madame cette Figaro, piste. Orianne Finaliste Vilmer du prix a Business fondé à Paris, la Fabrique de la Danse, un incubateur de chorégraph­es. À la fois danseuse et ingénieur, cette trentenair­e propose des formations de mise en mouvement à une dizaine d’entreprise­s, comme General Electric, le Crédit agricole, Mazars et Blablacar. « Le potentiel du corps est mis de côté dans l’entreprise, regrette-t-elle. Le salarié est en général sédentaire et cérébral. Les managers nous solliciten­t souvent pour booster le leadership, l’esprit collaborat­if ou l’innovation. Or la créativité d’une personne n’est pas seulement

edans favorisant la partie manager danse sa du tête, Et libre, cerveau apprend pour l’expression mais par le aussi liée exemple leadership à chorégraph­ier à dans la corporelle créativité. – son on corps. active ? – « » par les En Le la talents répond ensemble, qui Orianne composent en équipe, Vilmer. son développe service, Danser collective. Chaque l’écoute, salarié affine l’empathie sa lecture et des l’intelligen­ce émotions, les siennes et celle des autres. On gagne en intelligen­ce de situation, on perçoit mieux à quel moment on peut interrompr­e un collègue, par exemple. Comme sur une scène, chacun sert un propos qui le dépasse. Danser rend une entreprise plus agile et plus performant­e. »

Créer du lien par la danse ? Cela se vérifie dans la société. De plus en plus de chorégraph­es sortent des scènes prestigieu­ses et s’engagent dans l’espace public. C’est le cas du chorégraph­e Thierry Thieû Niang, ancien collaborat­eur de Patrice Chéreau : « Il y a quelques années, j’ai voulu sortir de l’entre-soi de la scène parisienne pour me frotter à d’autres corps sociaux, à d’autres langages corporels. Le mouvement est un moyen universel et archaïque de créer du lien. » Thierry a fait danser des enfants autistes, des détenus de la prison des Baumettes, à Marseille, ou des familles de migrants au Musée national de l’immigratio­n. « Je les aide à parler d’eux-mêmes, de leurs souffrance­s et de leurs joies, pas forcément avec les bons mots, mais avec les gestes vrais, les mouvements justes. » Ces expérience­s l’ont bouleversé : « Dans mes ateliers, j’ai vu des prisonnier­s oser se prendre dans les bras, se regarder dans les yeux et exprimer de la tendresse. Des gestes chaotiques et non contrôlés d’enfants autistes, j’ai vu jaillir des étincelles de poésie et de beauté. Avec l’un d’eux, on se balançait ensemble, on se touchait l’épaule, on a créé un duo, l’enfant est sorti de son geste solitaire, il réagissait, une complicité se nouait. Chaque jour, ces enfants autistes m’attendaien­t avec le sourire. La danse nous libère de l’assignatio­n sociale, casse les rigidités que la société imprime dans nos corps et nous permet de partager du sensible. Elle réconcilie l’instant présent avec la joie. C’est un formidable outil de vivre-ensemble et de citoyennet­é. » Psychanaly­ste et pionnière de la dansethéra­pie en France, France Schott-Billmann, auteure du

Besoin de danser (Éd. Odile Jacob), le résume joliment : « La première danse que l’on a connue, c’est le bercement du bébé dans le ventre de la mère. Danser sa vie, c’est continuer à faire virevolter en soi son enfant intérieur. »

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 ??  ?? IN SITU. Dans chaque nouvelle séquence, Nadia Vadori-Gauthier improvise et exprime toute sa créativité. À Thiezac, dans le Cantal (1), elle exécute une chorégraph­ie qui accompagne le lever du soleil. Au port de Bercy (2), à Paris, elle se livre à un duo avec la Seine pour décor. Au parc Montsouris (3), un scénario original la conduit à se représente­r la tête à l’envers au milieu d’un parterre de fleurs...
IN SITU. Dans chaque nouvelle séquence, Nadia Vadori-Gauthier improvise et exprime toute sa créativité. À Thiezac, dans le Cantal (1), elle exécute une chorégraph­ie qui accompagne le lever du soleil. Au port de Bercy (2), à Paris, elle se livre à un duo avec la Seine pour décor. Au parc Montsouris (3), un scénario original la conduit à se représente­r la tête à l’envers au milieu d’un parterre de fleurs...

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