«La méthode clash »,
Mauvaise nouvelle pour les communicants et autres spin doctors ! Le mot « storytelling » *, devenu en dix ans la clé du marketing et des discours politiques, est peut-être en train de perdre de son efficacité à l’heure des fake news et des big data. Alors même que cet anglicisme, qui signifie simplement « récit », connaît une forme de consécration en entrant dans l’édition 2019 du Petit Robert, le storytelling subit de plein fouet le discrédit qui frappe toute parole publique. De même que l’inflation monétaire ruine la confiance dans la monnaie, l’inflation narrative érode la confiance dans les histoires. Le développement des réseaux sociaux a changé les formes du débat public. La multiplication des clashs, la volatilité des échanges créent les conditions d’une guérilla permanente. Le clash est au récit ce que la guérilla est à la guerre conventionnelle. Dans des sociétés hypermédiatisées et hyperconnectées, la seule manière de se faire entendre, c’est d’enchaîner les provocations et les transgressions. Sur les réseaux sociaux, il s’agit donc de créer l’impulsion primitive qui va déclencher une réaction en chaîne, mettre en mouvement une accumulation de likes ou de retweets, avant que les machines Google les remarquent et les reprennent, créant un véritable « vortex » médiatique capable d’engloutir l’attention de centaines de milliers d’internautes… L’heure est à la surprise, à l’irruption, à la provocation. Et, dans la jungle des réseaux sociaux, ce sont les rumeurs les plus folles qui sont assurées de voyager le plus vite, à la vitesse d’une épidémie, comme le démontre une étude récente du MIT. Le clash/tweet qui fait du buzz tend à se substituer à l’histoire qui exige une certaine continuité. Le récit cède la place aux « infox », hoaxes et autres trolls. Désormais, viralité et rivalité vont de pair. On est ainsi passé de la story au clash, de l’histoire cohérente au choc disruptif, du suspense à la panique, de la séquence à une suite intemporelle de chocs… F ini le storytelling ? Bienvenue dans l’ère du clash !
PAR CHRISTIAN SALMON, ÉCRIVAIN / ILLUSTRATION MARC-ANTOINE COULON Dernier ouvrage, à paraître le 16 janvier : « L’Ère du clash », Éditions Fayard. * Ce mot a été introduit en France en 2007, avec la parution de son livre « Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits », Éditions La Découverte.