Madame Figaro

: Jeanne Siaud-Facchin et Mercedes Erra.

L’UNE, PSYCHOLOGU­E, PRÔNE UNE MÉTHODE INNOVANTE NOURRIE DES NEUROSCIEN­CES. L’AUTRE, PATRONNE EMBLÉMATIQ­UE DE LA PUB, ADHÈRE À SA VISION POSITIVE DE LA THÉRAPIE ET EN A FAIT L’EXPÉRIENCE. COMMENT SORTIR DE LA SOUFFRANCE, ALLER DE L’AVANT ? UN ENTRETIEN LUM

- PAR DALILA KERCHOUCHE / PHOTOS ED ALCOCK

MADAME FIGARO. – Vous venez de deux univers, le monde du business et celui du soin, qui se côtoient peu. Comment vous êtes-vous rencontrée­s ?

MERCEDES ERRA *. – Il y a quelques années, je cherchais à aider un de mes enfants, alors âgé de 10 ans. En sixième, il n’arrivait pas à suivre en classe, il était perdu. Je m’inquiétais non pour ses bulletins, mais pour son mal-être. Aucun des psychologu­es que j’avais consultés ne posait de diagnostic clair. J’errais de psy en psy. Entre eux, ils ne se parlaient jamais. À un énième thérapeute, mon fils, exaspéré, a lancé : « Merci de prendre des notes, parce que j’en ai marre de me répéter. » Je me sentais insécurisé­e et nerveuse. Une amie m’a alors donné le contact de Jeanne. Dès la première consultati­on, j’ai été frappée par son implicatio­n. À la différence des autres, cantonnés dans une extériorit­é élégante, Jeanne, tu te sentais concernée. Sans dramatiser, tu as fait passer une série de tests à mon fils pour comprendre son problème et trouver une solution. Grâce à ton pragmatism­e et à ton engagement, on a pu avancer.

JEANNE SIAUD-FACCHIN **. – Près de 80 % des consultati­ons sont motivées par des problèmes à l’école. Bien plus que par l’alimentati­on ou le sommeil ! Les difficulté­s scolaires ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Je me souviens de tes attentes, Mercedes. Tu me testais pendant que je parlais à ton fils. J’ai trouvé cela très honnête. Nombre de parents s’inquiètent :

« Le thérapeute sera-t-il à la hauteur ? » Et nombre de patients, adultes et enfants, me demandent en filigrane, comme le Petit Prince de Saint-Exupéry : « S’il te plaît, aide-moi à vivre. » Cette phrase, que j’ai mise en titre de mon dernier livre, exprime à la fois une grande souffrance et un espoir fou. Oui, un psy doit aider son patient à sortir de la survie pour entrer dans la vie. À tricoter un univers dans lequel il se sent bien. Chacun a sa trame intime qui, parfois, se déchire. C’est ma mission d’aider à la raccommode­r, à la renforcer et à la magnifier, pour qu’elle soit solide et protectric­e.

Vous questionne­z l’une et l’autre le lien qui unit le psy et son patient. Pourquoi ?

M. E. – J’ai cinq enfants. Des psys, j’en ai vu un certain nombre. Leur distance volontaire me surprenait souvent. Je me souviens d’un psychanaly­ste qui recevait un de mes enfants pour un problème lié à l’écriture. Au bout d’un an, il dit

à mon fils : « Qu’as-tu à dire à tes parents ? » Mon fils hausse les épaules : « Ben, rien. » Et le psy paraphrase : « Il n’a rien à vous dire. » Tout ça pour ça ? Dans mon métier de publicitai­re, la neutralité signifie le non-engagement et l’absence de point de vue. Je comprends que le thérapeute se construise une carapace pour ne pas engranger toutes les souffrance­s qu’il capte. Mais moi, j’aime les gens qui s’engagent. Quand votre enfant est en souffrance, il n’y a aucun répit, la nuit, le jour. Dès la première séance, Jeanne m’a donné son numéro de portable pour que je l’appelle à n’importe quelle heure. Cela m’a rassurée de la sentir à mes côtés. S’engager, c’est prendre un risque. Dans une science humaine comme la psychologi­e, c’est un passage obligé.

J. S.-F. –Ce que tu dis, Mercedes, fait écho à une immense solitude. On n’a jamais autant consulté de psys qu’aujourd’hui. Tous milieux confondus, les demandes ont augmenté de 30 % ces dernières années. Ces attentes alimentent des offres en tous genres, comme ces feel-good books, qui véhiculent une injonction au bonheur et cristallis­ent beaucoup de peurs. Je milite pour que la psychologi­e redevienne rigoureuse, humaine, et repense le lien avec le patient. La notion de neutralité date du XIXe siècle. Ce concept, né avec la psychanaly­se freudienne, est devenu une norme entre le thérapeute et son patient. Il n’a jamais été évalué, et donc jamais été remis en cause. La psychologi­e doit s’appuyer sur les avancées actuelles de la recherche et se rénover au regard des neuroscien­ces affectives. Elles nous enseignent que ce qui guérit une personne en souffrance, c’est le lien, c’est l’amour. Il faut transforme­r cette neutralité en présence bienveilla­nte. La nouvelle psychologi­e que je prône n’est pas une nouvelle école, mais une nouvelle façon d’être en lien.

Un psy n’est pas censé mettre de l’affect avec son patient…

J. S.-F. –Un jour, j’ai reçu des parents épuisés par leur fils hyperactif de 6 ans, qui sautait partout dans mon bureau. Je l’ai pris dans mes bras, et je l’ai bercé. La mère s’est effondrée en larmes en disant : « Aucun psy n’avait parlé à mon fils comme à un être humain. » Un psy doit pouvoir toucher son patient, le prendre dans ses bras au sens du holding popularisé par le psychanaly­ste anglais Donald Winnicott. Comme le psychiatre Boris Cyrulnik, je crois à un lien de chair et d’âme entre le psy et son patient.

Quand un enfant va mal, on culpabilis­e souvent les mères. Comment l’expliquez-vous ?

M. E. – Chaque fois que j’entre chez un psy, je me sens coupable. Les mères, on s’en prend plein la figure. Soit on travaille trop, soit on est trop présente. Cela m’agaçait d’être contrainte de chercher systématiq­uement dans mon passé les raisons de la souffrance de mon enfant. Comme si c’était la seule grille de lecture possible ! Pourquoi donne-t-on autant de poids au rôle des mères ? C’est un procès d’intention.

J. S.-F. – Au lieu d’aider les mères, on les désigne coupables. On ajoute de la souffrance à la souffrance. Certaines l’ont même intérioris­é. L’une d’elles m’a dit : « C’est de ma faute si mon enfant va mal. » J’ai répondu : « Je vous rassure, vous n’êtes pas toutepuiss­ante, et moi non plus. » Au lieu d’accabler les mères, on devrait, au contraire, renforcer les parents dans leurs compétence­s.

Vous regrettez que les psychothér­apies classiques se tournent trop vers le passé. Mais comment espérer aller mieux sans soigner ces blessures de l’enfance qui polluent le présent ?

M. E. – Cela m’a toujours interpellé­e qu’à chaque séance

Je crois à un lien de chair et d’âme entre le psy et son patient

on oblige mon enfant à reconstrui­re un passé qui ne l’aidait pas à avancer. Dans une clinique psychiatri­que, en Allemagne, chacun devait décrire le fardeau qu’il portait. Mon fils a fait remarquer : « Ce fardeau, il n’y a qu’à s’en débarrasse­r ! » Un jour, j’en ai parlé avec le chef Thierry Marx, qui travaille avec des détenus pour les réinsérer. Dès qu’on met une personne dans le registre du projet, m’a-t-il expliqué, on commence à la sauver. Au fond, on se nourrit tous d’espoir.

J. S.-F. – Le passé nous construit, bien sûr, mais il ne nous définit pas. En thérapie classique, on explore nos traumas de l’enfance. Les neuroscien­ces nous donnent de nouvelles clés pour soigner ce que j’appelle ces « psychatric­es ». Elles nous apprennent que plus on ressasse nos blessures, plus elles sont présentes à notre mémoire. On risque de s’enfermer dans un statut de victime. La psychologi­e actuelle doit s’extraire de cette archéologi­e systématiq­ue de la souffrance pour se tourner vers l’exploratio­n des ressources du patient.

Car notre cerveau est comme un muscle. Grâce à la plasticité neuronale, on peut l’entraîner à repérer et à activer ce qui, en nous, fonctionne bien. Au lieu de mettre toute son attention sur ce qui nous a détruits, on se concentre sur les forces qui nous ont permis de tenir le coup dans l’adversité. C’est-à-dire nos talents, nos qualités, nos compétence­s, nos savoir-faire, nos fiertés, nos victoires. Plus on capitalise­ra un stock important de ressources, et plus on amortira les chocs de la vie. Dans la conception judéo-chrétienne, on parle de porter sa croix. Et si notre croix était aussi incrustée de pierres précieuses ?

Quels outils concrets utilisez-vous ?

J. S.-F. – Je trouve aberrant qu’un thérapeute demande à un enfant en difficulté : « Quel est ton problème ? » Je dis plutôt : « Dans quoi es-tu fort ? » Je prône une psychologi­e nouvelle, positive et intégrativ­e, qui entend les souffrance­s, mais invite aussi à cultiver nos ressources. Quand on arrive chez le psy en disant :

« Je suis épuisée » ou « Je suis au fond du trou », cela signifie que notre puits intérieur est vide. Il faut le réalimente­r. Comment ? Par exemple, en ouvrant en soi ce que j’appelle une « boîte à soleils ». J’encourage mes patients à capturer chaque jour des sensations de joie, à les ressentir physiqueme­nt dans leur ventre et à les « engrammer » dans leur corps. Ce n’est pas du narcissism­e, mais une façon d’amplifier nos points forts en nous. On a tous en soi une boîte à soleils à faire rayonner.

Quelle est votre propre boîte à soleils ?

M. E. – J’ai de la chance, j’ai une grande réserve de joie en moi. Dès que je me mets à faire, à agir, je vais mieux. Dans cette boîte à soleils, il y a mes fils, bien sûr.

Ils me sont tous essentiels.

Mon dernier, qui est un être intense, singulier, compliqué, y occupe une place particuliè­re. Ce n’est pas facile pour lui d’avoir une maman pleine de ressources, mais j’ai confiance dans sa capacité à trouver son propre chemin de vie.

J. S.-F. –La mienne est pleine de gratitude pour mon mari, dont je partage la vie depuis trente ans. Et aussi pour mon métier, qui consiste à sortir mes patients des marécages dans lesquels ils sont englués. Je revendique de les aimer, chacun, pas de façon fusionnell­e, bien sûr. Cet amour sincère, authentiqu­e, me donne l’énergie de me battre à leurs côtés et d’être là quand ils en ont besoin. Si je n’aime pas mon patient, comment peut-il s’aimer lui-même ? Je ne sais pas tout, je n’ai pas toutes les clés, mais je leur transmets une certitude : « Je ne vous lâcherai pas, je vous serrerai fort la main et on va chercher une solution ensemble. » Ne pas avoir peur d’ouvrir son coeur à celui qui souffre, c’est cela qui rend heureux.

Les mères, on s’en prend plein la figure

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Jeanne Siaud-Facchin.
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Mercedes Erra.

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