Madame Figaro

Portrait : Melvil Poupaud.

À LA GRÂCE DU JEU

- PAR MARILYNE LETERTRE / PHOTO MATIAS INDJIC

RRENCONTRE­R MELVIL POUPAUD, c’est rencontrer une histoire et une vie de cinéma. Avant d’être scénariste et réalisatri­ce, Chantal, sa mère, a été l’attachée de presse de Marguerite Duras, Wim Wenders et autres grands réalisateu­rs d’art et essai. Quand son fils a 10 ans, elle le présente à Raoul Ruiz, qui en fait son Antoine Doinel : ils tourneront une dizaine de films ensemble de 1983 à 2010. Une vocation naît, encouragée par Jacques Richard, le tonton réalisateu­r, et Serge Daney, critique cinéma. « C’était mon parrain de coeur. Il a beaucoup compté dans ma vie et dans ma perception du cinéma. Chez moi, on croyait à la mise en scène et au cinéma en tant qu’art noble. Je continue à y croire, mais sans snobisme. Une bonne surprise peut arriver de partout. » Pour preuve, la récente série Insoupçonn­able sur TF1, qui côtoie dans sa filmograph­ie les réalisateu­rs Xavier Dolan (Laurence Anyways), Justine Triet (Victoria), Sophie Fillières

(La Belle et la Belle), Eva Ionesco (Une jeunesse dorée, en salles) ou François Ozon, qui l’avait sublimé en photograph­e mourant dans Le Temps qui reste, puis dans Le Refuge.

C’est d’ailleurs pour sa troisième collaborat­ion avec le réalisateu­r qu’il nous a donné rendez-vous dans son bistrot de quartier, où les habitués saluent « sa gentilless­e, sa simplicité et son talent ». À raison. Dans Grâce à Dieu (1), Melvil est Alexandre, Lyonnais marié, père de famille, bourgeois catholique, qui, avec d’autres victimes, réclame justice afin que le père Preynat soit condamné pour ses crimes pédophiles, au même titre que le diocèse du cardinal Barbarin qui aurait couvert ses actes. « François n’a pas signé un film à charge contre l’Église et les prêtres. Certains d’entre eux font un incroyable travail d’éducation et d’accompagne­ment avec la jeunesse. Mais il peut aussi y avoir des prédateurs, et l’institutio­n doit le reconnaîtr­e », explique l’acteur, qui confesse avoir été particuliè­rement sensible au sujet. « Je suis croyant, mais j’hésite parfois à le dire en raison d’amalgames : il suffit de prononcer le mot Jésus pour être associé aux réacs, aux sympathisa­nts de la Manif pour tous. Je suis juste sensible au message de paix, de pardon et de non-violence. Avec cette histoire et ce personnage plus ouvert qu’il n’y paraît, je voulais casser les clichés rétrograde­s. »

Une réussite : d’une rare dignité et profondeur, ce rôle, l’un des plus complexes qu’il ait incarnés, est de ceux qui marquent une carrière. « La cinquantai­ne approchant, certains comédiens pensent qu’il n’y a plus rien à découvrir. Moi, je crois toujours que le meilleur reste à venir. Peut-être parce que je n’ai pas eu une carrière explosive. Beaucoup de spectateur­s ne connaissen­t pas mon nom, ni même mon visage », poursuit-il sans fausse humilité. « C’est sans doute pour cela que je ne m’interdis rien. » Cette liberté, il la prend actuelleme­nt en musique, passion qu’il partage depuis toujours avec Yarol, son frère, musicien (ex-directeur musical de Johnny Hallyday) qui vient de sortir son premier album solo. Mais, aujourd’hui, c’est avec Benjamin Biolay qu’il se produit. Très proches depuis un titre partagé sur Palermo Hollywood, les deux amis ont conçu Songbook (2), album et spectacle dans lesquels ils chantent et alternent les instrument­s (basse, batterie et guitare pour Melvil). « Sur scène, on joue l’effet miroir : l’acteur qui chante et le chanteur qui joue. C’est une histoire de copains, on se fait plaisir. » Complices, ils cherchent aussi à tourner un film ensemble. L’occasion peut-être pour Melvil Poupaud de passer à la réalisatio­n ? « Je n’ai pas la patience et l’énergie pour porter un projet au long cours… Et l’envie n’est pas là. Depuis mes 10 ans, je faisais des petites vidéos pour moi, pour évacuer des choses… Mais j’ai arrêté : à l’heure où l’on inventorie tout sur son smartphone, ça n’a plus le même charme. Et comme on m’a vu grandir et vieillir à l’écran, ma vie est suffisamme­nt archivée comme ça. » (1) « Grâce à Dieu », de François Ozon. Sortie le 20 février. (2) « Songbook », Barclay. Concerts à l’Olympia, à Paris, les 19 et 20 février.

L’EXPÉRIMENT­ATION ET LA CURIOSITÉ SONT SES MOTEURS. LA FIDÉLITÉ AUSSI. MÉLOMANE MULTIINSTR­UMENTISTE SUR SCÈNE AUX CÔTÉS DE SON AMI BENJAMIN BIOLAY, IL RETROUVE FRANÇOIS OZON AU CINÉMA POUR GRÂCE À DIEU,

FILM SAISISSANT SUR UNE AFFAIRE DE PÉDOPHILIE DANS L’ÉGLISE.

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