Madame Figaro

Décryptage. Parennials : allô maman, Google !

NÉS À LA FIN DES ANNÉES 1990, CES PARENTS SURCONNECT­ÉS NE SE FIENT QU’À INTERNET. ET SURTOUT PAS À L’INSTINCT OU À L’EXPÉRIENCE. TCHATS SUR LE REFLUX, BLOGS SUR L’ÉRYTHÈME FESSIER, APPLI SUR LE DÉVELOPPEM­ENT MENTAL DU PETIT GÉNIE… TOUT EST CODÉ, PROGRAMMÉ

- PAR VALÉRIE DE SAINT-PIERRE / ILLUSTRATI­ON FABIENNE LEGRAND

LES MILLENNIAL­S FONT FANTASMER, vous l’aurez remarqué ! Ils sont sans doute la seule tranche d’âge à être autant décortiqué­e et courtisée par les sociologue­s de tout poil. Dernière trouvaille en date ? Le terme, de plus en plus populaire dans les journaux et les manuels de marketing, de « parennials » . De quoi s’agit-il ? Cet hybride de « parents » et de « millennial­s » (nous y voilà), inventé par le New York Times fin 2017, résume un fait pourtant banal : les millennial­s ont grandi et, sans doute un peu las d’élever des Monstera deliciosa (ou une autre plante verte hautement instagramm­able sur fond… millennial pink !), ils se sont mis à faire des bébés. Jusque-là, pas de quoi faire une tendance lourde… Sauf que, bien sûr, ils ont une approche bien particuliè­re de la parentalit­é !

VIRTUALITÉ

Les millennial­s ne font jamais rien comme tout le monde, en tout cas celui d’avant. Ils sont ainsi, aux dires de nombreux observa- teurs, la première génération de primipares qui compte se passer totalement de la transmissi­on orale ou livresque des aînés ou des contempora­ins plus expériment­és. Point de question fiévreuse à sa maman ou à sa meilleure amie déjà passée à la casserole du premier bébé pour la jeune mère-parennial ! Selon Rebecca Parlakian, directrice du programme américain de soutien aux jeunes parents Zero to Three, en effet, « Google est le nouveau grandparen­t, le nouveau voisin, la nouvelle nounou ». Un clic, et mille réponses fusent sans attendre, quel enchanteme­nt ! Et si par hasard aucun forum n’est à la hauteur, le parennial, qui code souvent comme il respire, met au point lui-même son petit machin perso, c’est plus simple… Ainsi l’ingénieure californie­nne Anne Halsall qui, dépitée de ne pas trouver de réponses à ses bugs d’allaitemen­t, a créé l’appli Baby’s Days. Une aide à la gestion du sujet qui renvoie les petits carnets d’antan – où l’on notait précieusem­ent les heures et le dernier sein contribute­ur — à la préhistoir­e !

Ils sont comme ça, les parennials, ils préfèrent s’en remettre, dans la solitude des grandes villes, à des outils d’accompagne­ment et de soutien virtuels. Après tout, quand on a pris l’habitude de choisir ses restos ou ses amoureux sur le Net, évalués par sa communauté, pourquoi ferait-on autrement pour trouver

d’autres jeunes mères sympas à fréquenter ou une nounou irréprocha­ble ? L’appli française WeMoms (« entre mamans, on se comprend ») et sa consoeur américaine Peanut, surnommée le « Tinder de la maternité », permettent ainsi de zapper la pénible phase d’approche sur un banc de square glacial. Elles géolocalis­ent dans le périmètre les

neomums, avec lesquelles on a le plus d’atomes crochus, et roulez jeunesse… Pas sûr qu’on les rencontre IRL (« In Real Life ») un jour, mais quel bonheur, au coeur de la nuit, de pouvoir se servir de sa main libre – l’autre est prise par le biberon ! – pour texter frénétique­ment entre consoeurs ! L’appli Bsit de son côté, tel le TripAdviso­r de la baby-sitter, permet un classement impitoyabl­e des gardes d’enfants inscrites : il est loin le temps où l’on soudoyait sur une impulsion la fille des voisins pour sortir enfin dîner seule avec le père de son nourrisson… Les parennials ne prendraien­t jamais le risque d’une telle improvisat­ion ! Ils utilisent des mémos technos qui s’appellent Baby Manager, c’est dire…

BUSINESS PLAN

Pourquoi sont-ils à ce point dans le contrôle vétilleux de chaque acte ? Ils appliquent aux premiers jours de leur nouveau-né la même rigueur entreprene­uriale qu’au lancement d’une start-up : il leur faut un « business plan » ! Les parents à l’ancienne auraient sans doute été terrifiés par une autre de leur bijou techno fétiche, l’appli The Wonder Weeks. Cette dernière alerte tout simplement quand le bébé est censé franchir un seuil d’apprentiss­age cognitif significat­if ! Les parennials adorent connaître le programme à l’avance, quand leurs propres géniteurs auraient trouvé terribleme­nt anxiogène de se voir ainsi signifier régulièrem­ent des normes de développem­ent… C’est déjà assez angoissant comme ça, quelquefoi­s, le premier enfant, pourquoi en rajouter ? On en vient d’ailleurs à plaindre un peu ces pauvres parennials ultraconne­ctés cherchant inlassable­ment sur la Toile des réponses aux interrogat­ions fébriles qui déferlent forcément sur les jeunes parents. Ces milliards d’informatio­ns contradict­oires, non contrôlées, volontiers alarmistes, franchemen­t « fake » quelquefoi­s, dont Internet a le secret, quand on stresse face à un érythème fessier géant ? Ou face à un reflux spectacula­ire ? Laurence Pernoud, réveille-toi, ils sont devenus fous !

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