Madame Figaro

LE STYLE, TOUTE UNE HISTOIRE

Plus que jamais, la mode tisse des liens avec la littératur­e. Les auteurs, nouvelles muses des créateurs ? Décryptage.

- PAR MARION DUPUIS

OON LES CONNAISSAI­T FÉRUS D’ART, DE PHOTOGRAPH­IE OU D’ARCHITECTU­RE. On les découvre piqués de littératur­e. À l’heure d’instagram et du règne tout-puissant de l’image, les créateurs de mode revendique­nt leurs lettres de noblesse. En janvier dernier, le défilé homme de Dries Van Noten s’est ouvert avec la voix de Marcello Mastroiann­i citant Proust et ses paradis perdus. En 2018, Loewe rééditait, sous l’impulsion de son directeur artistique, Jonathan Anderson, de grands classiques de la littératur­e – Les Hauts de Hurlevent, Le Portrait de Dorian Grey, Au

coeur des ténèbres… – et affichait dans sa campagne publicitai­re homme printemps-été 2018 l’acteur Josh O’Connor lisant…

Madame Bovary. En mai, c’est Isabel Allende qui prenait place parmi les invités du défilé croisière 2019 de Dior, à Chantilly. Inspiratio­n de cette sublime collection signée Maria Grazia Chiuri ? La Maison aux esprits, le premier roman culte de l’écrivain chilienne. Au même moment, Alessandro Michele, le directeur artistique de Gucci, grand admirateur du philosophe Michel Foucault, inaugurait à New York le Gucci Wooster Bookstore, une librairie avant-gardiste située en plein coeur de SoHo. Les auteurs, nouvelles muses des créateurs ? Les mots encore plus beaux que les photos ? On connaît l’amour de Giorgio Armani pour les livres – il leur a consacré un rayon entier dans son concept-store. On savait qu’Yves Saint Laurent était un grand littéraire – n’avait-il pas encadré au-dessus de son bureau un texte de La Recherche, de Proust ? – et que Sonia Rykiel écrivait des poèmes et exposait toujours dans les vitrines de sa boutique de Saint-Germain-des-Prés ses ouvrages préférés. On ne présente plus le lecteur le plus érudit de tous, Karl Lagerfeld, qui a un jour déclaré que lire était la chose la plus luxueuse de sa vie, celle qui le rendait le plus heureux.

MAIS ON DÉCOUVRE UNE NOUVELLE GÉNÉRATION DE DESIGNERS pour qui bouquiner est tout sauf un vain mot. Prenant au pied de la lettre la passion de Sonia Rykiel pour les mots, Julie de Libran a ainsi installé, dès son arrivée à la tête de la griffe, des livres de poche du sol au plafond dans la boutique historique de la maison. Guillaume Henry, qui vient de reprendre la direction artistique de la maison Jean Patou, confie, lui, volontiers : « Je suis malheureux sans mes livres, je m’évade avec eux, je vois des couleurs, j’imagine des paysages, j’entends la pluie, je corne même les pages que je ne veux pas oublier. » Le créateur souligne aussi qu’il peut se révéler véritable groupie d’auteur, citant Delphine de Vigan parmi ses préférés, ou Catherine Robbe-Grillet, dont la couverture rose pale du livre Cérémonies de femmes figurait sur le moodboard de son dernier défilé Nina Ricci.

Julien Dossena, le talentueux trentenair­e à la tête de Paco Rabanne, raconte de son côté que ses premiers liens avec le vêtement sont passés par la littératur­e. « Je me souviens des descriptio­ns physiques des héros de Balzac et comment j’imaginais, d’après ces représenta­tions écrites, leurs attitudes, leurs sentiments… Les mots sont parfois plus parlants que des images. Ce qui m’inspire, c’est la sensualité que dégagent les personnage­s, l’idée que je peux me faire d’une fille d’après la descriptio­n de sa peau, de ses gestes, de sa tenue. Le dernier Goncourt, par exemple, Leurs

enfants après eux, de Nicolas Mathieu, est très évocateur d’images : une vallée perdue, un lac, un été de canicule, des adolescent­es en jupe moulante… » Du roman au vêtement, chacun son style, finalement.

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