Métropolitain,
par Marc Lambron.
Numéro Spécial mode, l’un de ceux que les messieurs aiment bien compulser, car l’on y voit de fraîches jeunes femmes annoncer le printemps des nymphes, avec leurs robettes flottantes, leurs sandalettes claquantes, cette brise d’effronterie qui fait l’élégance de la rue quand meurt l’hiver. Évidemment, ce n’est pas le lieu où s’expose la mode masculine. Nul conseil pour arborer une barbe de trois jours, des pantalons au-dessus de la cheville ou un blouson en fibre bio. Là, je vais devoir confesser mon inactualité intermittente. Il m’arrive plusieurs fois par an de revêtir un costume qui n’est guère tendance, puisqu’il respecte les canons de la mode du printemps 1801. C’est cette année-là, en mai, qu’un arrêté du Consulat fixa les formes de la vêture des académiciens français. Habit noir orné de broderies en feuilles d’olivier vert foncé, auquel l’usage a ajouté un gilet blanc plutôt que jaune, porté, comme le fait Zorro, avec cape et épée. C’est de l’intemporel sur de l’immortel, puisque cet habit pourrait être reconnu dans la rue par Chateaubriand ou par Victor Hugo, qui le portèrent aussi. Là, mes enfants diraient que je me la pète. Mais ce n’est qu’un prétexte pour vous annoncer une grande nouvelle.
La voici : l’Académie française, si vous ne le savez déjà, va entrer dans l’âge démocratique. Depuis 1635, elle accomplit sa mission en élaborant un dictionnaire qui en est aujourd’hui à sa neuvième édition, ce qui représente la succession sur chaque fauteuil d’une douzaine de générations. Que de jus de crâne dépensé pour un magnifique ouvrage qu’acquéraient seulement des universités, des bibliothèques et quelques particuliers fortunés. Du coup, les mauvais esprits étaient enclins à prétendre que l’Académie ne sert à rien. Eh bien, miracle de la télématique, voici que les neuf éditions vont être mises en ligne sur un site dédié, accessible gratuitement aux milliards de pékins qui surfent sur la Toile. Une révolution française ! La science séculaire du beau langage à la portée de l’univers ! Le lexique national accessible en deux coups de pouce sur un clavier, et gratis pro Deo encore ! Comme diraient mes enfants, c’est total kiffant. L’avenir est au vert. Si une querelle sémantique vous oppose dans un dîner à votre belle-mère, le jugement de Vaugelas sortira comme un djinn de votre téléphone. Si vous trouvez que l’on jargonne trop en franglais, le dictionnaire pixélisé vous offrira un bouclier d’élégance. Il me reste une chose à faire : offrir un smartphone – pardon, un téléphone mobile – à Chateaubriand et à Victor Hugo. Ils en feront sans doute le meilleur usage.