Madame Figaro

Pause philo,

de Sutter. par Laurent

- par Laurent de Sutter

La connaissan­ce de soi est à la fois inutile et inappétiss­ante. Qui souvent s’examine n’avance guère dans la connaissan­ce de lui-même. Et moins on se connaît, mieux on se porte. » La quatrième de couverture de Loin de moi, le livre que Clément Rosset publia en 1999, ne laissait guère planer de doute : en tant que philosophe, son auteur ne prisait guère l’intérêt grandissan­t qu’une partie non négligeabl­e de la littératur­e semblait prêter aux exigences narcissiqu­es de ses contempora­ins. Parcourir les rayons et les tables des librairies aujourd’hui ne pourrait que nous pousser à lui donner raison : partout, ce ne sont qu’invitation­s à partir à la recherche de son moi perdu, à se réconcilie­r avec son ego, à enfin être soi. Pour Clément Rosset, de telles invitation­s relevaient d’une sorte de fraude : celle qui consiste à croire que notre petite personne possède la moindre importance en ce bas monde et que la philosophi­e, depuis le balcon où elle médite les grandes questions de la vie, pourrait nous y aider.

Il est vrai que nombreux sont les penseurs qui, à grands coups de réflexions sur l’être, le je ou le sujet, nous ont

acclimatés à l’idée que chaque individu posséderai­t quelque chose comme une essence propre autour de laquelle viendraien­t s’agglutiner les biens et les expérience­s, comme autant d’accessoire­s au chic variable. Dans l’histoire de la philosophi­e, la notion d’être n’a souvent servi à rien d’autre que cela : à désigner la personne capable de déchiffrer la carte métaphysiq­ue de l’être pour y trouver sa place – selon toute vraisembla­nce, un homme aisé et cultivé. Aux yeux de Clément Rosset, il y avait là une forme louche de complicité avec un ordre des choses ayant tout à gagner à persuader ceux qui en sont les sujets qu’ils possèdent, quelque part, une essence unique, car ce n’était qu’à cette condition qu’il pouvait lui aussi se présenter comme essentiel. Sa leçon pouvait même être poussée plus loin : non seulement l’être ou le soi sont des catégories d’ordre, mais leur ressasseme­nt permanent par la littératur­e, qui prétend vous fournir les moyens de vous réconcilie­r avec le vôtre, n’a pas d’autre objectif qu’une forme de domesticat­ion.

Cette domesticat­ion, c’est celle qui se trouve mise en oeuvre quand une instance se croit en droit de vous dire votre vérité pour pouvoir ensuite en déduire toute une série d’exigences de comporteme­nt – car qu’est-ce qu’être, sinon être beau, fort, riche et bien portant ? Qu’est-ce qu’être, si ce n’est être comme il faut ? Inappétiss­ant, en effet.

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