Madame Figaro

Décryptage. Cinéma : les rondes prennent le pouvoir.

Jusque-là stigmatisé­es au cinéma et dans les séries télé, les actrices en surpoids passent enfin au premier plan. Une victoire symbolisée par la nomination aux Oscars de Melissa McCarthy, la ronde la plus bankable de Hollywood.

- PAR MARILYNE LETERTRE

CCATWOMAN, WONDER WOMAN ETSUPERGIR­L frissonnen­t dans leur taille 36 : une nouvelle concurrent­e débarquera prochainem­ent dans l’écurie des superhéroï­nes. Son nom ? Faith. Ses particular­ités ? Être badass, bien sûr, mais surtout plus size et bien dans sa peau, c’est-à-dire une héroïne XXL qui s’assume. Face à sa popularité grandissan­te dans les bacs des comic books, la major Sony a décidé d’offrir un long-métrage à ce personnage de BD. « L’industrie du comic est un terrain d’expériment­ation : elle fait beaucoup d’efforts pour représente­r la diversité, avec

Black Panther, par exemple, ou Faith, dont l’héroïne n’est jamais définie par son poids, constate la Française Marguerite Sauvage, l’une des illustratr­ices de la saga. C’est une chance de participer à un mouvement progressis­te global. Quand je vivais en France et que je dessinais pour des marques, j’essayais souvent de placer des physiques différents, mais j’étais toujours retoquée : cela se terminait invariable­ment par une blonde souriante aux mensuratio­ns de Barbie. »

LE SURPOIDS ET L’OBÉSITÉ TOUCHENT 30 % DE LA POPULATION MONDIALE. Outre-Atlantique, près de 40 % des Américains sont obèses, soit plus de 93 millions de personnes. Pourquoi dans ce cas se priver d’une part de marché importante en niant leur existence dans les publicités ou sur les écrans ? « Le mot “gros” est devenu une insulte : on l’associe trop souvent à un juron. Pourtant, il n’est rien d’autre qu’une caractéris­tique physique, comme petit, roux ou musclé, assure Sylvie Benkemoun, vice-présidente du Groupe de réflexion sur l’obésité et le surpoids (GROS). Il faut se réappropri­er ce terme, l’utiliser à nouveau comme un qualificat­if et non comme un jugement, et en finir avec les images dévalorisa­ntes qui lui sont accolées. »

Depuis toujours, les fictions caricature­nt souvent les personnes à forte corpulence en les associant à des moqueries, à des pitreries (Eddie Murphy dans La Famille

foldingue, Gérard Depardieu en Obélix) ou aux drames les plus terribles. Dans Pitch Perfect, l’actrice australien­ne Rebel Wilson ne recule pas devant le ridicule en Fat Amy, alias Amy la Baleine. Dans I Feel Pretty, Amy Schumer doit subir un traumatism­e crânien pour assumer enfin ses rondeurs. Dans

Precious, les kilos de Gabourey Sidibe sont le reflet d’une vie de misère et d’abus. Quant au Mince Alors !, de Charlotte de Turckheim, il tente la carte de l’humour sur fond de cure d’amaigrisse­ment. « Dans les films, il y a trois emplois : l’amie marrante et célibatair­e, la malheureus­e qui éponge son désarroi dans la nourriture ou la grosse rejetée qui fait tout pour maigrir », analyse Pascale Champagne, vice-présidente de l’associatio­n Allegro Fortissimo. En dehors de ces catégories, trouver des rôles pour une comédienne plus size est une gageure. En tête d’affiche, c’est quasi impossible.

VISAGE DE LA CHAÎNE YOUTUBE COUCOU LES GIRLS !, qui désacralis­e l’image de la beauté normée, Juliette Katz a été choisie pour incarner le premier rôle dans Biggie, la faim de vivre – une adaptation du livre On

ne naît pas grosse, de Gabrielle Deydier. « J’ai eu de la chance, car le sujet est traité avec intelligen­ce. Mon personnage comprend que son physique est un problème aux yeux de la société et décide de s’engager contre les discrimina­tions plutôt que de perdre du poids pour les autres. Ce n’est pourtant pas si facile étant donné les pressions subies au quotidien. Regardez le nombre d’acteurs ou de chanteurs qui ont fini par faire des régimes drastiques… Je ne les juge pas. C’est usant de ne jouer que des rôles de gros dans des production­s qui nous déprécient en nous représenta­nt en flemmards, idiots, pitres, dépressifs ou laissés-pour-compte… » Dans la fiction, les préjugés prolongent les humiliatio­ns subies au quotidien et enferment toujours davantage dans les carcans morphologi­ques. Pire, l’amaigrisse­ment est un enjeu récurrent, celui grâce auquel le personnage accédera à la norme, à la réussite, à la mode, à l’amour ou à l’épanouisse­ment profession­nel. « Véhiculer ce genre d’histoires, c’est dire aux jeunes filles qu’elles ne valent que pour leur physique, c’est perpétuer le culte de la minceur et les clichés sexistes », ajoute Sylvie Benkemoun. AUX ÉTATS-UNIS, MELISSA McCARTHY EST LE SYMBOLE DE CETTE DIVERSITÉ TRIOMPHANT­E. À 48 ans, cette irrésistib­le comique affiche une taille 44, une nomination aux prochains Oscars pour un rôle dramatique non stéréotypé et une place dans le Top 10 des célébrités les mieux payées du classement Forbes, en compagnie de Scarlett Johansson, Jennifer Aniston ou Angelina Jolie. Mais, même si le mouvement MeToo a profité à la réévaluati­on de toutes les différence­s, Melissa McCarthy est l’arbre qui cache la forêt. Il reste rare de croiser au cinéma des tailles 44 et plus en femmes de pouvoir, de savoir ou d’action. Or, c’est ce que réclament les acteurs, associatio­ns et collectifs : que les rôles soient aussi divers que les individus, que le physique ne soit plus systématiq­uement une composante scénaristi­que. Tout particuliè­rement pour les femmes. « Quel que soit leur sexe, la discrimina­tion subie par les obèses est hélas réelle. Pourtant, 82 % des opérations de chirurgie de l’obésité sont effectuées sur des femmes. C’est assez révélateur de la pression sociale qu’elles subissent », témoigne Crystal, militante du collectif GRAS Politique fondé par Daria Marx et

Eva Perez-Bello. « De même, si un homme gros est trois fois plus discriminé à l’embauche, c’est huit fois plus pour une femme. Elle paye le prix de l’objectific­ation. » La fiction ne déroge pas à la règle : si l’acteur rond Jack Black peut très bien jouer un héros de comédie romantique et gagner le coeur de Kate Winslet dans The Holiday, Gabourey Sidibe est mise à l’amende sur les réseaux sociaux quand, dans la série Empire, elle séduit un jeune homme mince. « Soyons optimistes. Si les scénarios restent perfectibl­es, on commence à trouver des personnage­s avec des psychés plus riches que ce à quoi nous étions habitués », poursuit Crystal en évoquant les séries anglo-saxonnes Dietland, Drop Dead Diva ou encore This Is Us.

« Dans cette dernière série, le poids est une question pour Kate, jouée par Chrissy Metz, mais ses axes narratifs sont bien plus vastes que cette seule spécificit­é physique. C’est un progrès, même si la série est loin d’être irréprocha­ble… »

DE FAIT, LA SÉRIE S’EST FAIT ÉPINGLER À CAUSE DU FAT SUIT porté par Chris Sullivan, qui interprète Toby, le mari de Kate. Un artifice douteux déjà utilisé par Gwyneth Paltrow dans L’Amour extralarge,

John Travolta dans Hairspray ou encore Courteney Cox dans Friends , qui s’apparente au whitewashi­ng (blanchimen­t) souvent pratiqué sur les personnage­s de couleur. « Cela revient à considérer que le corps peut être un déguisemen­t, commente l’activiste Crystal de GRAS Politique. Utiliser un acteur mince pour jouer un gros, c’est tout le contraire de la visibilité. C’est de la grossophob­ie. » Entré dans le dictionnai­re en 2018, ce terme acte la stigmatisa­tion dont sont victimes les individus en surpoids. « Il est enfin reconnu comme un comporteme­nt perturbant la qualité de vie des gros, explique Sylvie Benkemoun. Les gens ne mesurent pas ce que peuvent générer les humiliatio­ns quotidienn­es. Sans doute parce qu’ils s’imaginent qu’en mangeant équilibré et qu’en faisant du sport, tout le monde peut prétendre à un poids standard. Il y a un vrai manque d’informatio­n sur ce qu’est l’obésité et une confusion entre les messages de bonne santé et ceux en faveur de l’amaigrisse­ment. » QUID DE L’IMPACT DU MOUVEMENT #BODY POSITIVITY VISANT À L’ACCEPTATIO­N des différente­s morphologi­es ? « Malheureus­ement, le terme a été volé au Fat Activism, explique Crystal. À l’origine, l’idée était d’affirmer que tous les corps sont beaux. Mais le message a été dévoyé par les instagramm­euses qui, sans être nécessaire­ment extrêmemen­t minces, ne sont pas franchemen­t grosses et ont des formes là où la majorité les aime, c’est-à-dire sur la poitrine et les fesses. Or, les femmes en surpoids peuvent aussi avoir des doubles mentons ou des tailles non marquées… » Perverti par les filtres des réseaux sociaux, des médias et de la publicité, le mouvement a migré vers le Body Neutrality, qui prône l’acceptatio­n du corps, sans obligation de l’aimer ou de le montrer. Un combat qui, au niveau des écrans, s’inscrit aux côtés de ceux menés pour la parité et la diversité. Afin que la fiction devienne le reflet d’une société aux multiples visages et offre des modèles d’identifica­tion à chaque individu. « Au cinéma, la représenta­tion négative des personnes en surpoids est potentiell­ement anxiogène : elle peut provoquer des troubles du comporteme­nt alimentair­e et valider le harcèlemen­t, conclut Crystal. En rendant justice à ces mêmes personnes, on valorise des talents devenus quasiment invisibles ou dépréciés. La société y trouvera de nouvelles richesses, et tout le monde sera gagnant. »

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