EMMA L’anticliché
EN 2017, FALLAIT DEMANDER, cette brève BD sur la « charge mentale », signée Emma, avait été partagée plus de 200 000 fois sur Facebook. Le concept élaboré par la sociologue Monique Haicault, selon lequel non seulement les femmes
« font » (les courses, le ménage, la lessive…) mais doivent aussi « penser à faire », y avait gagné une soudaine popularité.
Dans l’album Des princes pas si charmants, la blogueuse et illustratrice revient sur cette notion. D’abord pour indiquer qu’elle résulte bel et bien d’une inégalité de genre
(les hommes gèrent une charge mentale professionnelle, les femmes une charge mentale professionnelle et ménagère). Ensuite pour décrire la récupération que les médias en ont faite, transformant l’enjeu d’une lutte féministe entamée au début des années 1970 en problème de couple, voire en
« syndrome » féminin qu’on recommande de soigner à coup de « to do listes et de méditation », au lieu de se pencher sur les structures patriarcales de nos sociétés…
Emma s’attache dans les autres histoires de cet album à dissiper des illusions comme celle de la galanterie en tant que forme de respect vis-à-vis des femmes, alors qu’elle est en fait le fruit d’un « sexisme bienveillant ». Ou l’idée selon laquelle « le travail, c’est la santé » : s’appuyant sur son expérience, elle évoque les souffrances qui ont émaillé son parcours professionnel, et dénonce une organisation des entreprises soumise à la loi du profit au lieu du bien-être. La jeune femme, militante revendiquée, continue ainsi de mettre en scène, avec pédagogie et humour, situations quotidiennes et épisodes de l’actualité qu’elle décrypte en convoquant économistes et sociologues, afin de les appréhender sous un nouveau jour. D’un trait simple et efficace, elle déconstruit à chaque album nos idées reçues sur les relations hommes-femmes, le port du voile ou la croissance… Et offre « un autre regard » sur le monde avec, chevillé à son dessin, l’espoir de le changer. M. T. H.