Madame Figaro

Cinéma : et si Hollywood faisait confiance aux femmes ?

RÉUNIES À PARIS, JULIETTE BINOCHE, STAR OSCARISÉE, ET DAWN HUDSON, DIRECTRICE GÉNÉRALE DE L’AMPAS – L’ACADÉMIE DES OSCARS –, PARTAGENT LEURS CONVICTION­S SUR LE CINÉMA AMÉRICAIN, BASTION MASCULIN. UN PARI SUR LA PARITÉ.

- PAR ISABELLE GIRARD / PHOTO MATIAS INDJIC

TOUTES LES DEUX ONT UNE MÊME PASSION : LE CINÉMA. D’un côté, Dawn Hudson, la très puissante directrice générale de l’AMPAS * – l’Académie des Oscars –, qui défend le cinéma d’un point de vue institutio­nnel, veillant au respect de la mixité, de la parité et de la diversité, et soutenant la cause des femmes qui contribuen­t à l’éclat du septième art. De l’autre, Juliette Binoche, l’une des actrices françaises les plus douées de sa génération, oscarisée en 1997 pour

Le Patient anglais, d’Anthony Minghella, récompensé­e par des prix d’interpréta­tion féminine à Venise, Berlin et Cannes, qui milite pour que le talent l’emporte, qu’il soit féminin ou masculin. Deux visions complément­aires et deux réflexions sur la nécessité de féminiser cet art majeur, et de briser les préjugés des studios.

MADAME FIGARO. – Dawn Hudson, vous présidez l’Académie des Oscars depuis neuf ans. L’influence des femmes s’y est-elle renforcée ?

DAWN HUDSON. – Considérab­lement. D’abord dans l’organisati­on interne. Quand je suis arrivée à la tête de l’Académie, il n’y

avait que cinq femmes au board (le conseil d’administra­tion, NDLR). Aujourd’hui nous sommes vingt-deux. Ensuite, dans le recrutemen­t des nouveaux votants : la moitié des artistes invités à rejoindre les rangs de l’institutio­n sont aujourd’hui des femmes. Un record historique en termes de parité. Nous incitons les femmes de tous les pays, travaillan­t dans le cinéma, à poser leurs candidatur­es pour faire partie des votants. Nous ne voulons pas que l’Académie des Oscars se transforme en petit country club, mais plutôt en une communauté d’artistes.

Et selon vous, Juliette Binoche, comment promouvoir l’influence des femmes dans le monde du cinéma ?

JULIETTE BINOCHE. – Par la qualité des films qu’écrivent, réalisent ou interprète­nt les femmes, qui sont les seules preuves de notre raison d’être et de notre légitimité dans ce métier. Il n’y a pas à chercher midi à quatorze heures. C’est à travers notre potentiel, notre vision, notre authentici­té, notre talent, que nous allons nous imposer.

D. H. – Je suis d’accord avec vous, Juliette. Le talent prime. Mais je suis dans ce business depuis trente ans, et je vois combien il est difficile, pour certains producteur­s hommes, de faire confiance à une femme et de lui octroyer, par exemple, les budgets nécessaire­s pour un film. C’est sans doute ancré dans certains inconscien­ts masculins. Sur cent longs-métrages qui sortent aux États-Unis, seuls huit pour cent sont dirigés par des femmes. Pour cette raison, nous devons être vigilantes.

J. B. – Vous avez raison. Je vais bientôt jouer le rôle d’une conductric­e de poids lourds américaine dans le premier long-métrage d’une réalisatri­ce norvégienn­e, Anna Gutto. Le scénario m’a enthousias­mé. La productric­e est anglaise, et c’est vrai que je ne vois pas un metteur en scène américain miser sur le premier film d’une femme avec une Française pour jouer une Américaine. Il faut être un peu dingue pour faire ce pari.

D. H. – Réaliser un film coûte tellement d’argent que certains réalisateu­rs ont peur de faire des expérience­s et fabriquent des films parfois mécaniques et convention­nels.

J. B. – Il est vrai qu’un tournage aux États-Unis, c’est une armée en mouvement, qui laisse peu de place à la fantaisie. Il y a un côté militaire, qui existe beaucoup moins en France.

D. H. – Le réalisateu­r se comporte comme un général. Dans l’inconscien­t des studios, un film, c’est une armée, et une armée ne peut être dirigée que par des hommes.

J. B. – Quand vous êtes sur un tournage américain, on vient toquer à la porte de votre caravane, on vous emmène sur le plateau comme sur un champ de bataille.

Il y a des talkies-walkies partout, qui signalent chacune de vos avancées. Les actrices françaises ne sont pas habituées à cet embrigadem­ent. En France, nous avons une vision différente : un tournage, c’est une équipe, une collaborat­ion, parfois une famille. J’ai remarqué que la qualité du metteur en scène dépend de son autorité naturelle, qui ne s’impose pas, qui n’a pas besoin de hausser le ton. Il n’y a pas de différence entre les femmes et les hommes à ce niveau, les uns ont cette autorité plus facilement que d’autres. D’ailleurs lorsqu’un metteur ou une metteuse en scène parle bas, on l’écoute beaucoup plus. En fait, à cette place j’aime voir quelqu’un de libre, comme Claire Denis : elle est cash, elle est vraie.

Que pensez-vous de la politique des quotas ? J. B. – J’ai un peu de mal avec les quotas, moi qui aime tellement la liberté. Quand je choisis de faire un film, je le fais parce que je le trouve bon, et je me moque de savoir si le scénario est celui d’un homme ou d’une femme. D’un autre côté, je comprends que les femmes aient envie d’avoir de la place pour exister. Peut-être, finalement, qu’une politique des quotas est un passage obligé…

D. H. – Je crois qu’il faut aider le système à imploser et obliger les studios à donner leur chance aux femmes. Une politique des quotas peut tordre les a priori et décréter une fois pour toutes qu’une femme est aussi capable qu’un homme. Cette politique-là est sans doute nécessaire. Pour un temps.

 ??  ?? Juliette Binoche et Dawn Hudson à l’hôtel Lutetia, à Paris, le 3 mars, lors de la remise du Gold Fellowship Award par l’Académie des Oscars, en partenaria­t avec UniFrance, Swarovski et Madame Figaro.
Juliette Binoche et Dawn Hudson à l’hôtel Lutetia, à Paris, le 3 mars, lors de la remise du Gold Fellowship Award par l’Académie des Oscars, en partenaria­t avec UniFrance, Swarovski et Madame Figaro.

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