L’art du télétravail.
TRANSFORMER SON DOMICILE EN ANNEXE DU BUREAU PEUT SE RÉVÉLER UN CASSE-TÊTE. COMMENT GÉRER CE BOULEVERSEMENT PROFESSIONNEL ET INTIME ? EN SOIGNANT L’ESPRIT D’ÉQUIPE.
MARDI 17 MARS À MIDI PILE, le couperet est tombé : le confinement s’est imposé afin de freiner l’expansion de la pandémie de coronavirus. Bienvenue, donc, au télétravail, quand ce dernier est possible. Un bouleversement pour des millions de salariés français qui essayent de faire face à une nouvelle devise : maison, boulot, dodo. Associer son lieu de vie à celui de son activité professionnelle, tout en tentant de les dissocier ? Tout un art avec lequel il faut apprendre à composer.
NOUVELLE ORGANISATION
SAVOURER CE MOMENT où la maison se vide de ses habitants bruyants (enfants à l’école, conjoint au travail), lancer une machine entre deux e-mails envoyés, prendre l’air au café du coin pour un petit shoot de convivialité : il y a encore quelques semaines, le télétravail incarnait une forme d’eldorado bien réel pour ses aficionados. Selon une étude de l’Institut français d’opinion publique (Ifop), il avait même le vent en poupe : en 2019, 29 % des salariés français y ont eu recours en moyenne sept jours par mois, contre 25 % en 2017, séduits à 54 % par la réduction du temps des trajets et à 36 % par la souplesse des horaires. Côté managers, même engouement : 67 % d’entre eux estiment même que le télétravail permet des gains de productivité. Mais tout cela appartient déjà à une autre époque, comme nous l’explique Dominique Picard, psychosociologue et auteure de Politesse,
savoir-vivre et relations sociales (Que sais-je, 2019) : « Jusqu’à cette épidémie du Covid-19, le home office était un choix, ou en tout cas, on avait donné son accord à sa hiérarchie. Là, c’est un concept qui nous tombe dessus sans prévenir, qui entre dans notre cadre de vie privée avant même qu’on ait eu le temps de le penser, de l’organiser et donc de l’accepter. C’est un véritable bouleversement professionnel, familial et social, le tout largement teinté d’inconnu. » Et surtout, d’une bonne dose de complications.
MEILLEUR RAPPORT À L’AUTRE
CAR QUI DIT CONFINEMENT dit nouvelle solitude à gérer, quand on avait l’habitude de discuter autour d’une machine à café, autodiscipline à s’inventer pour la journée et, pour ceux qui vivent en famille, déjeuners à prévoir, école à la maison pour les petits derniers et (ou) les ados, séances de nettoyage à répétition d’un habitat surpeuplé H 24, tout ça en prenant garde de maintenir une certaine convivialité… Quelle que soit la configuration, la productivité n’est plus la même. Mais elle n’est pas sans avantage. Car s’il y a bien une chose que l’on observe depuis le début du confinement, c’est une nouvelle définition de l’esprit d’équipe, certes virtuel, mais pourtant très réel.
Bien que nous pensions souvent l’inverse, être physiquement proche d’un partenaire de travail ne serait pas toujours fédérateur. Selon une étude anglaise menée dans 12 pays auprès de 25 000 salariés, The
Changing World of Work, 91 % des sondés affirment mieux connaître leurs collègues grâce aux outils numériques mis en place pour communiquer. Un sentiment que partage Dominique Picard : « Le rapport à l’autre est en train de changer. Prenons l’exemple du téléphone. Depuis la mi-mars, quand on appelle un collègue, on sait désormais qu’on le dérange à son domicile. On prend le temps de lui demander s’il est disponible, s’il va bien et s’il s’en sort au milieu de ce quotidien confiné. Ce sont toutes les bases des règles de la politesse que l’on voit revenir ici. » On retrouve aussi le plaisir de converser avec ses amis, de prendre plus souvent de leurs nouvelles et de leur consacrer ce temps qui nous échappait lorsqu’on rentrait harassé de sa journée. Tant mieux ! Car si l’on parle beaucoup de santé physique, la santé mentale est tout aussi primordiale. « Si j’ai un conseil à donner, le voici : accepter de ne pas être un bon petit soldat, poursuit la psychosociologue. Il est important de déculpabiliser. Nous ne sommes pas obligés d’être toujours à la hauteur. Partager ses angoisses avec sa famille ou ses amis, faire part de ses problèmes en appelant un confrère est primordial. Il faut à tout prix éviter de serrer les dents en attendant que la crise passe. Solliciter de l’aide n’est pas synonyme d’amoindrissement. » À méditer entre deux coups de fil et trois rapports de travail à envoyer.