Madame Figaro

Interview. Comment les enfants vivent l’isolement, par la psychologu­e Jeanne Siaud-Facchin.

COMMENT LES PLUS JEUNES VIVENT-ILS L’ISOLEMENT ? LA PSYCHOLOGU­E, QUI A LANCÉ UNE CELLULE D’ÉCOUTE GRATUITE *, NOUS ÉCLAIRE.

- PAR LISA HANOUN

MADAME FIGARO. – Comment les enfants vivent-ils le confinemen­t et l’absence de contact physique avec leurs copains ?

JEANNE SIAUD-FACCHIN. – Cela dépend de leur configurat­ion familiale et de leur tempéramen­t. Certains le vivent très bien, car ils (re)découvrent la famille. En temps normal, ils sont occupés entre l’école, les activités et les copains… Or, pour la première fois, ils vivent du matin au soir en présence des frères, des soeurs et des parents. Ils ont la sensation de souffler, ils peuvent traîner le matin par exemple. C’est la fin du « vite, on fait les devoirs », « vite, on va à l’école », « vite, on va se coucher ». Cette situation allège leur charge mentale. Ce qui leur manque, c’est davantage leur vie avec les copains que les copains eux-mêmes. Dans d’autres cas, c’est plus difficile. Les petits trépignent, tournent en rond, se sentent enfermés. Ils veulent retourner à l’école. Les parents se surinvesti­ssent dans leur mission d’« enseignant­s ». Certains ne se sentent pas à la hauteur, les enfants en ricochet se sentent harcelés et les tensions se multiplien­t.

La distance peut parfois leur donner l’impression qu’ils vont perdre leurs amis…

De la même manière qu’ils ne les voient pas pendant les deux mois de grandes vacances, les enfants ont l’habitude de ne pas être physiqueme­nt avec leurs amis sur une longue période. Certes, sur le moment, ils sont frustrés, mais ils s’adaptent incontesta­blement mieux que nous. Si un enfant est amoureux, il ne souffrira pas de la distance de la même manière qu’un adulte. Au contraire, il s’adaptera, notamment car il n’a pas le même rapport au temps, ni aux relations. Attention à ne pas tomber dans l’adultomorp­hisme qui consiste à projeter nos inquiétude­s sur nos petits.

Et les adolescent­s ?

Chez les collégiens et les lycéens, on ressent une forme, assez unique, de colère « à la Greta Thunberg » : « C’est de votre faute ». Ils en veulent à la génération précédente qui, selon eux, est responsabl­e de cette crise.

Ils se posent aussi beaucoup de questions existentie­lles, par exemple sur leur rapport à la mort et à la maladie.

Comment aider les petits à tisser d’autres liens ?

Être privé de ses amis peut rendre l’enfant très inventif. Ils peuvent improviser à distance des concours de musique ou de dessin. Ponctuelle­ment, ils peuvent aussi opter pour les jeux en réseaux, comme des rendez-vous qui rythment leur journée.

Comment calmer leur chagrin dans l’isolement ?

Nier ou minimiser, en disant : « Ce n’est pas si grave », accentue leur inquiétude. Il faut avant tout reconnaîtr­e que nous vivons une situation difficile à laquelle aucun parent n’a déjà été confronté. Il faut leur dire que nous sommes tous dans la même galère. Il faut donc inventer une façon de bien vivre ensemble, et accepter les événements comme ils viennent. L’école assure un lien avec l’extérieur sans passer par l’intermédia­ire des parents. C’est une autre forme de sociabilis­ation, une manière différente d’apprendre. Voilà au moins le positif. * Hot-line de Cogito’Z : 0805 822 810. cogitoz.com

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