Madame Figaro

LE MONDE EST HYBRIDE, hybridons-nous !

- Dernier ouvrage paru : « Tous centaures ! Éloge de l’hybridatio­n », Éditions Le Pommier.

Pause philo : Gabrielle Halpern.

Vous l’avez sûrement remarqué, le monde qui nous entoure est de plus en plus hybride, c’est-à-dire multiple, mélangé, flou, contradict­oire, hétéroclit­e. Bref, plus rien n’entre dans nos cases. Les objets ! Nos téléphones sont aussi des réveils, des radios et des ap-pareils photos : pourquoi les appeler encore des téléphones ? Nos villes ! Nature et urbanisme s’hybrident et nous passons de jardins dans les villes à des villes-jardins, voire des villes-campagnes. Nos magasin ! Certains déjà ne vendent plus seulement des produits, mais aussi des expérience­s et des émotions, au point que la frontière entre magasin et parc d’attraction­s s’estompe peu à peu. La mode, la politique, les identités, les genres, les cultures : tout s’hybride !

Nos définition­s volent en éclats et cela crée un malaise dans notre société. Plus le monde s’hybride et plus nos cases se vident. Un vide que certains sont tentés de remplir avec autre chose que la réalité, d’où le phénomène des

fake news et des vérités alternativ­es… L’hybride nous a toujours un peu fait peur, parce qu’il est lié à l’angoisse de l’imprévisib­le. Une angoisse qui a été incarnée, dans l’Antiquité, avec le mythe du Centaure : une figure monstrueus­e, mi-homme mi-cheval. Pourquoi une telle angoisse dans l’histoire de la pensée occidental­e ? C’est à cause de la raison – notre bonne vieille rationalit­é –, très utile au début pour nous aider à construire les sciences, mais qui s’est progressiv­ement radicalisé­e. Ses cases se sont peu à peu rigidifiée­s, au point qu’elles nous ont fait perdre contact avec la part hybride de la réalité. Il n’y a pas de crise écologique, territoria­le, institutio­nnelle ou économique : ce qui est en crise, c’est notre rapport à la réalité. Pour la résoudre, il faudrait en finir avec les étiquettes, avec notre culte de l’identité, avec nos habitudes de classifica­tion.

Et surtout, il faudrait cesser d’avoir peur de l’hybride, parce qu’il peut s’apprivoise­r et qu’il constitue une formidable chance pour nous. Il nous rend plus intelligen­ts – car il nous oblige à nous remettre en question –, plus créatifs – parce qu’il nous oblige à créer sans cesse de nouvelles cases sur mesure pour accueillir la réalité, plus humbles et moins dogmatique­s. C’est une chance pour les individus, pour la société, pour les entreprise­s. Apprenons à aimer l’hybride et à donner un peu plus de place au centaure qui sommeille en nous, puisque après tout nous sommes tous des centaures !

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