Madame Figaro

ÉDITO/« Prodigieux papillon », par Alexandre Lacroix.

- PAR ALEXANDRE LACROIX, ÉCRIVAIN ET PHILOSOPHE */ ILLUSTRATI­ON MARC-ANTOINE COULON * Directeur de la rédaction de « Philosophi­e Magazine ». Dernier ouvrage paru : « Microréfle­xions - Comment philosophe­r au fil des jours ? », Allary Éditions.

CCes jours-ci, je me suis souvenu d’un merveilleu­x passage des entretiens radiophoni­ques de Jean Giono avec Jean Carrière, enregistré­s en 1965 à Manosque – sur fond de stridulati­on des cigales –, où l’écrivain évoque une période d’emprisonne­ment. C’était en 1939. Jean Giono, qui ne s’était pas présenté à l’appel de la « drôle de guerre », fut placé en détention dans le fort Saint-Nicolas, à Marseille, un bâtiment de pierre à la Vauban, haut « dans le ciel ». Il prétend y avoir goûté une solitude délectable. Du quignon de pain du matin à la soupe du soir, de 10 heures à 18 heures, il se savait délivré des visites et des coups de téléphone. C’était « extraordin­airement rafraîchis­sant ». Il a d’abord occupé le temps en se récitant des poèmes, en se remémorant des livres. Au bout d’un mois, il a eu besoin d’autres occupation­s, de « choses présentes ». Les nuages, qu’il voyait passer par une imposte au ras du plafond, meublèrent sa solitude. Un jour, il reçut la visite d’un papillon. Il la raconte comme un événement inestimabl­e.

J’ai toujours trouvé de la distractio­n aux variations de la lumière par la fenêtre, et, avant-hier, j’ai été saisi, au milieu de la clarté printanièr­e transparen­te, par l’assombriss­ement soudain du ciel, qui s’est peuplé de flocons de neige. Les fenêtres, moyen d’évasion proche mais inépuisabl­e, ont surtout joué un rôle dans ma scolarité – je crois bien que je passais plus de temps à scruter le ciel de Paris qu’à regarder le tableau où s’égrenaient les mortelles leçons. Et puis la vie active a éloigné de mon attention les fenêtres. Les progrès de l’informatiq­ue en ont placé une, rétroéclai­rée, sur le bureau où je travaille, mais ce n’est pas pareil. Dans Windows, les papillons arrivent sur commande. Je suis le maître de mes navigation­s en ligne ou de mes travaux sur traitement de texte, tandis que les attraction­s des fenêtres réelles se peignent sans moi. Et je trouve un certain charme à penser que nous sommes près de trois milliards d’humains à guetter aujourd’hui le passage des papillons.

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