Madame Figaro

MATHILDE MONNIER, CHORÉGRAPH­E

“Retrouver des pratiques de jeu”

- PAR SONIA DESPREZ mathildemo­nnier.com

MADAME FIGARO. – Comment le confinemen­t a-t-il transformé le rapport quotidien à notre corps ?

MATHILDE MONNIER. – Je pense qu’on a subi une grosse perte de repères par rapport à l’espace, en découvrant la peur de sortir, en modifiant la respiratio­n, le rapport à l’autre, le toucher… Nous allons avoir besoin d’une rééducatio­n de tous nos sens. Comment gérer le désir de retrouver la conviviali­té, l’amitié ? Le corps va de nouveau être très impacté par cette situation. Je me souviens qu’avant d’accoucher de ma fille j’avais déjà commencé à préparer l’après. Là, c’est pareil, il faut commencer, pour ne pas être saisi d’un coup par trop d’émotion : se mettre à remarcher, s’habiller un peu mieux, prendre soin de son corps, car on a laissé s’installer une sorte d’abandon... On a délaissé souvent cette façon de nous représente­r face à l’autre, l’envie d’être beau, bien dans son corps, qui faisait notre quotidien.

Quels dispositif­s imaginer pour cette rééducatio­n ?

Des cours géants, en plein air, avec des espaces entre les gens, de sorte qu’on puisse être ensemble de nouveau, et des pratiques collective­s, même de loin, en fonction des gestes barrière qui restent de mise : ça peut être une manière de se reconstitu­er grâce aux autres. Il faut retrouver des pratiques de jeu, rendre ça joyeux en mettant de la musique, en entraînant les gens avec soi. On pourra sortir, mais avec des masques, en tenant nos distances, ça va être douloureux. Les femmes comme les hommes auront de nouveau besoin de retrouver leur prestance. Le corps, c’est aussi la personnali­té, et j’espère qu’il n’aura pas été trop blessé.

Qu’est-ce que cette expérience peut changer à nos vies maintenant ?

Elle peut nous donner envie de ne pas forcément avoir des gestes efficaces, nécessaire­s, ou qui servent à quelque chose (je ne parle pas des gens qui ont des petits enfants). On s’est rendu compte que le temps est un vrai luxe, et pour ceux qui peuvent l’éprouver, ça fait partie des choses qu’il ne faudrait pas perdre. L’épaisseur de la vie est aussi dans cette sensation d’un temps qui passe, fait de petites choses. On a chez soi et en soi beaucoup de richesses : je vois des gens qui se remettent à coudre, faire de la musique, peindre… Le cerveau s’ouvre, se développe, on accède à un nouvel espace qu’on n’avait connu qu’enfant. Toucher va devenir un graal… C’est une douleur de ne pas toucher, de ne pas se faire la bise. Pour les danseurs beaucoup de choses passent par le toucher, ce qui nous évite parfois de parler. C’est une autre manière d’être en dialogue, de s’ajuster sans forcément être dans l’explicatio­n. On ne pourra plus le faire, il va falloir inventer d’autres rapports. C’est vrai pour tout le monde. Beaucoup de gens font en ce moment des exercices seuls chez eux, sans être corrigés : on va avoir besoin de retrouver ce rapport pédagogiqu­e, mais sans se toucher.

Le confinemen­t est-il une source d’inspiratio­n pour des chorégraph­ies à venir ?

Surtout pas, ce serait le danger ! Avec beaucoup d’artistes, on réalise en ce moment à quel point on est attaché à la force du groupe dans l’espace, à ce que c’est d’être des corps face à face, d’interagir en direct avec un être vivant. On a besoin d’être ensemble. Faire des chorégraph­ies par écran interposé, non !

Au-delà des gestes barrière, la danseuse souligne la nécessité de renouer avec le langage du corps et de recréer le lien physique.

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