Madame Figaro

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Lire Anne Sinclair, c’est d’abord entendre sa voix pudique, à peine étonnée, élégante et douce dont elle ne se départit jamais. Comment fait-on pour raconter quand sa famille a connu le pire ? Elle décrit l’arrestatio­n de son grand-père, Léonce Schwartz, lors de la rafle dite des Notables, le 12 juin 1941, où furent arrêtés 743 juifs français, en majorité des bourgeois. De cette arrestatio­n, des mois qu’il a passé à Compiègne, de ce camp de concentrat­ion en France, on ne disait rien. Elle était cette petite fille, puis cette jeune fille bien élevée, qui ne posait pas de questions alors qu’elle écrit : « Cette histoire me hante depuis l’enfance. » Elle a conscience d’appartenir aux heureux du monde, la plainte est interdite. Son grand-père était vendeur de dentelles en gros rue d’Aboukir, à Paris ; il vivait rue de Tocquevill­e, dans le XVII arrondisse­ment. Comment dire alors ? Comment aussi dire « je » quand on est journalist­e, qu’on n’aime pas parler de soi et qu’il s’agit de votre grand-père, de la peur et des fantômes qu’il vous a transmis. Il faut être capable d’écrire ce satané « je » que l’on fuit. Alors, Anne Sinclair se lance avec courage. Elle écrit : « Je suis allée à Compiègne. » On sent combien ce « je » qu’elle utilise avec parcimonie, que de partager « ma gorge se serre », sont pour elle un effort nécessaire. Grâce à son obstinatio­n, elle lit les témoignage­s de ceux qui ont été détenus à Compiègne, regarde partout, même s’il reste si peu. Elle peut décrire de manière minutieuse comment le corps est réduit à la faim, à la saleté.

De son ton poli, qui jamais ne dérape, clair et honnête, elle raconte les latrines, les poux, la vermine, le froid, les odeurs et l’épuisement. Elle me fait penser à mes deux grandes tantes, Raya et Macha, toujours maquillées et parfumées, que l’écrivain Pierre Pachet décrit ainsi dans Autobiogra­phie de mon

père, « parce qu’elles avaient connu le pire possible, la mélancolie n’est plus de mise »

(OEuvres choisies, Fayard). C’est cette voix sans mélancolie ni nostalgie, toujours juste, que je cherche, et que j’entends quand je lis Anne Sinclair.

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 ??  ?? ✐ La Rafle
des notables, d’Anne Sinclair, Éditions Grasset, 128 p., 13 €.
✐ La Rafle des notables, d’Anne Sinclair, Éditions Grasset, 128 p., 13 €.

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