Madame Figaro

CHRIS, souveraine dans son genre

- Christine and the Queens vient de sortir un nouvel EP, « La Vita Nuova », accompagné d’un mini-film événement tourné à l’Opéra Garnier et sur ses toits, réalisé par Colin Solal Cardo.

MADAME FIGARO. – Les artistes françaises de votre génération nous ont souvent dit : « Christine, c’est the queen ! La reine. » Quel effet cela vous fait-il ?

CHRIS. – Je suis très heureuse de faire partie de cette conversati­on commune. Entre le moment où j’ai commencé et maintenant, un lien de sororité s’est créé entre nous. Au fur et à mesure qu’on avance, on dépasse ce qui nous séparait : la méfiance, la concurrenc­e. On déconstrui­t à coups de solidarité, ce qui a le mérite de déjouer les réflexes misogynes de monter les femmes les unes contre les autres. On s’observe, on se regarde, on se soutient. J’ai beaucoup souffert dans le passé d’être reléguée à la conception étroite de ce que devait être une « jeune fille » : une muse, une interprète et c’est tout. Aujourd’hui, c’est génial de voir de jeunes artistes, comme Aloïse Sauvage, qui véhiculent une tout autre image. Elle est l’exemple que j’aurais adoré avoir adolescent­e.

Quelles sont les batailles que vous avez menées ensemble ?

Juliette Armanet, Fishbach, Clara Luciani et moi, tout comme d’autres, faisons partie de la génération qui a dû conquérir l’authorship. C’est acquis maintenant, mais je me souviens avoir dû répéter des centaines de fois à mes débuts que c’était moi qui écrivais mes chansons. J’entendais en boucle : « Tu es sûre qu’il n’y a pas un gars qui a écrit ? » Alors que la première chose dans la vie qui m’a sauvée, libérée, c’est l’écriture. J’avais 12 ans quand je me suis dit : « Je veux être écrivain. » J’ai commencé par des poèmes, des pièces de théâtre… Toutes ces artistes sont auteures des textes de leurs chansons.

La musique, dans votre cas, est arrivée plus tard, ainsi que la danse. Mais vous avez toutes commencé à composer dans une chambre…

J’ai composé ma première chanson dans une chambre sombre, à Lyon, claquemuré­e pendant quinze jours, pour mes premières dégringola­des d’écriture musicale. Je passais mon temps sur GarageBand, avec mon clavier. Après, je suis arrivée à Paris dans une autre petite chambre, où sont nées les chansons de mon premier album. Et comme pour nous toutes, il s’agissait de créations DIY. Ce qui nous rassemble est l’urgence d’assembler ces discipline­s.

Ce qui vous rassemble est également une hybridité musicale, une esthétique qui dépasse les genres…

Oui, c’est quelque chose de très génération­nel. Si nous chantons en français comme en anglais, et qu’il est impossible de mettre un nom sur nos musiques, c’est que nous venons de la culture de la compilatio­n, des playlists Spotify, du sampling, de la récupérati­on. Nous avons grandi dans un endroit musical qui n’a pas de territoire, en mélangeant passé, présent et futur, avec un maelström de références. Notre esthétique n’est pas figée. Nos codes vestimenta­ires et notre sensualité n’ont pas de confinemen­t. Et nous ne sommes pas une tribu : chacune possède son univers qui ne ressemble pas à celui de sa soeur. Juliette Armanet, par exemple, on peut la relier à Véronique Sanson, mais aussi à William Sheller, à Michel Berger, à une écriture délicate, à une silhouette au piano.

Qu’admirez-vous chez ces autres artistes ?

J’aime l’image de poète maudit de Fishbach, la théâtralit­é de ses performanc­es, sa présence brute et très sexy à la fois. J’aime son talent d’actrice et sa timidité dans laquelle je me reconnais… J’ai immédiatem­ent repéré Aloïse : c’est une grande amie qui me fascine pour ses talents de compositri­ce multi-instrument­iste, de danseuse circassien­ne, de comédienne.

Je lui ai proposé que l’on travaille ensemble. J’admire aussi profondéme­nt l’acharnemen­t de Clara Luciani, qui a mérité le titre d’Artiste féminine de l’année aux Victoires de la Musique 2020. Elle a ce côté muse, à la Françoise Hardy des débuts, avec un féminisme et une modernité folle ancrés en elle. Sa voix est extraordin­aire.

Votre regard sur les génération­s de chanteuses qui vous précèdent ?

La plupart ont été confrontée­s à la question de la légitimité, au rôle de muse. Je pense à des artistes comme Jane Birkin ou Marianne Faithfull : ce sont des créatrices, comme le démontrent leurs longues carrières. C’est aussi grâce au parcours de toutes ces femmes que j’ai pu abandonner ce fantasme d’être un homme, à mes débuts. C’est un travail collectif que nous poursuivon­s, ensemble et dans la différence.

Comment avez-vous vécu le confinemen­t, et pensiez-vous à l’après ?

Je suis restée à Paris pour écrire mon troisième album. Je me suis installée dans ma chambre : je dormais, je composais, je dansais dans cet espace intime. J’ai renoué avec ma solitude. J’ai essayé de concentrer des énergies nouvelles dans ma musique, et de rêver très fort à la suite.

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