Marguerite Duras tombe sous le charme de Barbara Loden et qualifie son film de “miracle”
l’écarte au profit de Faye Dunaway pour jouer dans une humiliation d’autant plus grande que cette dernière avait été sa doublure dans Elle ne lui pardonnera jamais cette mise à l’écart.
DANS LA FOULÉE, elle abandonne le cinéma – elle avait été approchée pour d’Hitchcock, mais décline préférant faire du théâtre. Lorsqu’elle se lance dans la réalisation de en 1970, elle a 38 ans et s’attribue d’emblée le rôle de son héroïne. Elle est secondée par le chef opérateur Nick Proferes, dont le travail en 16 mm s’inspire du cinéma documentaire ou des expériences d’Andy Warhol. Le tournage dure sept semaines dans les régions minières du Connecticut et de la Pennsylvanie. Le film est présenté à La Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes en 1971, après avoir reçu un prix à Venise l’année précédente. Mais sa sortie aux États-Unis se limite à une tournée des universités et provoque même un tollé chez les féministes américaines qui s’en prennent à son éloge de la passivité féminine. Mais les cercles féministes européens voient, elles, en Wanda une icône de leur cause, la victime d’une idéologie, celle de la société américaine. est diffusée dans des circuits parallèles et son prestige ne cesse de grandir dans le milieu confidentiel des cinéphiles ou des grands intellectuels (dont l’écrivain américain Don DeLillo, qui en fait un éloge appuyé dans un essai paru dans le en 2008). En France, c’est Marguerite Duras qui tombe sous le charme de Barbara Loden et qualifie son film de « miracle ».
DANS UN ENTRETIEN ENTRE DURAS ET KAZAN, paru en 1980 dans les le réalisateur explique à l’écrivaine la figure de Wanda : « Elle incarne un personnage très américain qu’on appelle le “floating” (vagabond). Soit une femme qui flotte à la surface de la société, ici ou là, au fil des courants. Si Barbara Loden comprenait aussi bien ce personnage, c’est qu’elle avait été elle-même cette jeune femme flottante qui, un jour, m’avait confié une chose très triste : “J’ai toujours eu besoin d’un homme pour me protéger”. »
EN 2003, RONALD CHAMMAH, fondateur de la société Les Films du Camélia, en rachète les droits et le sort des oubliettes où il était retombé. « J’ai découvert par hasard en 1982 au cinéma Saint-André-des-Arts, nous confie-t-il. J’ai eu un véritable choc cinématographique. J’apprends par la suite que c’est Marguerite Duras qui avait convaincu Elia Kazan et Roger Diamantis, le directeur et créateur de cette salle, de programmer le film à Paris. Puis une dizaine d’années plus tard, j’ai eu moi aussi envie de le faire redécouvrir. J’ai réussi à mettre la main sur quelques copies que j’ai fait restaurer ». Isabelle Huppert, la femme de Ronald Chammah, s’enflamme pour et, s’impliquant dans la communication du film, relance l’engouement médiatique autour de cette oeuvre avant-gardiste.
DANS UN ENTRETIEN FILMÉ en 2004 pour les bonus du DVD (Éditions M6 Vidéos), l’actrice témoigne : « À la sortie des années 1960, même s’il y a eu la Nouvelle Vague, on est encore dans une sorte de sophistication et, tout à coup, Barbara Loden invente un personnage exempté de toute obligation. Il y a une beauté naturelle qui surgit, très grande. Wanda vient au tribunal pour entendre le jugement qui la déchoit de son droit maternel. Elle vient en bigoudis, je ne sais pas comment elle a eu cette idée, mais c’est génial, c’est subversif, désespéré, mais c’est aussi une préoccupation d’elle-même. C’est un mépris de l’institution, de l’autorité, c’est une transgression qui passe par le bigoudi ! »
C’EST AUSSI LE MIROIR DE BARBARA. L’actrice a souvent dit, lors d’interviews, combien elle avait été bouleversée par le récit d’Alma Malone. Quelle douleur, quelle impossibilité de vivre, peut vous conduire à désirer l’enfermement. Comment peut-on être soulagée d’être incarcérée ? Une tristesse enfouie, devenue chronique, dans laquelle Barbara se reconnaissait, elle qui déclara un jour au
« Je n’étais rien. Je n’avais pas d’amis. Pas de talents. J’étais une ombre. Je n’avais rien appris à l’école. Je savais à peine compter. J’ai passé mon enfance cachée derrière le fourneau de ma grand-mère. J’étais très isolée. » Plus tard, elle confiera aussi : « J’ai traversé la vie comme une autiste, persuadée que je ne valais rien, incapable de savoir qui j’étais, allant de-ci, de-là, sans dignité. »
APRÈS Barbara Loden se lance dans des projets qui ne verront jamais le jour, faute d’argent. Elle aurait aimé adapter de Kate Chopin, sorte de Madame Bovary de la littérature américaine. Aurait-elle joué le rôle de l’héroïne, Edna, « qui laisse sa maison aller à vau-l’eau, abandonne mari et enfants, et rêvasse dans les tramways » ? À la fin des années 1970, elle se bat plusieurs mois contre un cancer du sein et meurt le 5 septembre 1980, à 48 ans, le jour où Kazan et elle, séparés mais réunis pour l’occasion, devaient prendre l’avion pour présenter au Festival de Deauville. Un médecin qu’elle avait consulté peu avant sa disparition lui aurait curieusement expliqué que son cancer venait de ce qu’elle ne pleurait pas assez…