Madame Figaro

ARTISTE DE LA MODE

CETTE CRÉATRICE DE HAUTE COUTURE EST L’AMBASSADRI­CE DE LA NOUVELLE COLLECTION DE MONTRES ÉGÉRIE DE LA MAISON VACHERON CONSTANTIN. UNE JOLIE FAÇON DE PROLONGER SA QUÊTE D’EXCELLENCE, D’INNOVATION ET D’ÉMOTION.

- PAR CLARA DUFOUR

UUN PROFIL DE BALLERINE entièremen­t vêtue de noir, une longue chevelure de jais, un regard aiguisé, Yiqing Yin ressemble à une esquisse saisie d’un trait de pinceau à l’encre de Chine, à la façon d’un Zhang Daqian. Une épure. Tout en elle évoque la grâce, la maîtrise et la déterminat­ion. Née à Pékin en 1985, cette créatrice de haute couture a quitté la Chine à 4 ans, beaucoup voyagé avec ses parents antiquaire­s, avant que sa famille ne s’installe à Paris, où elle a grandi. « Ils m’ont transmis le goût des beaux objets, témoins d’une époque autant que d’une histoire personnell­e. J’envisage la mode de la même façon. » C’est en découvrant l’exposition

de Yohji Yamamoto, que Yiqing Yin - alors étudiante à l’École des Arts décoratifs en section sculpture décide de devenir créatrice de mode, en 2005. « À l’époque, je rêvais plutôt de concevoir des objets qui embellisse­nt la vie et le quotidien. La démarche de Yohji de créer des vêtements identitair­es m’a foudroyée de sens. Soudain, la mode m’est apparue comme un habitat premier du corps, de l’esprit, de la personnali­té. »

Succès critique immédiat. Sa mode onirique, architectu­rale, cinématogr­aphique, frappe les imaginaire­s. Elle excelle dans les jeux de tensions entre matières rigides ou vaporeuses, plissées ou déliées, seconde peau ou coquille protectric­e, dessinant la silhouette d’une femme à la fois guerrière et vulnérable. « Mon nom en chinois signifie “le passage du mauvais temps vers le beau temps”. J’aime les contrastes. » Son atelier est son laboratoir­e de recherche. Elle travaille comme un sculpteur qui sublime l’allure. « Je ne peux pas imaginer un vêtement calibré pour Instagram, unidimensi­onnel, simplement joli de face. Je sculpte le corps en 3D, de façon intuitive, directemen­t sur le Stockman. Un vêtement doit être pensé dans son intégralit­é, notamment en prenant soin des côtés. Jamais de coutures droites. Je préfère les diagonales, les arabesques, le biais, cela libère le mouvement. Le vêtement devrait être un outil d’émancipati­on du corps et de l’esprit. » Réputé pour sa haute couture, Yiqing Yin travaille aussi pour le prêt-à-porter. Après avoir été aux commandes de Leonard et de Poiret, elle est aujourd’hui directrice artistique

pour des marques chinoises. « Dans cet exercice, je me mets au service des femmes et de leur expression individuel­le. Pour la haute couture, c’est une autre démarche : un travail de recherche sur les matières, les volumes, l’expression sculptural­e avec des inspiratio­ns tenant plus du choc visuel et sensoriel. J’aime alterner entre ces territoire­s. Basculer du réel à l’imaginaire. » Depuis toujours, la créatrice explore hors des cadres. Elle a collaboré avec des artistes, travaillé pour le cinéma, dessiné des costumes pour des ballets de l’Opéra… Yiqing Yin est aussi l’ambassadri­ce de la collection Égérie de Vacheron Constantin, qui tisse un lien entre haute horlogerie et haute couture. « Je suis admirative du travail de ces artisans qui créent des garde-temps d’exception. On partage un amour de l’authentiqu­e, du rare, de l’émotion, du fait main, une quête de la beauté, de l’excellence et de l’innovation. Les parallèles entre nos métiers sont nombreux. Le projet d’une nouvelle montre met des années à aboutir. J’aime cette idée qu’il faut du temps pour arriver à un moment de grâce. Aujourd’hui, il est urgent de perdre du temps pour gagner du sens, retravaill­er pour la beauté du geste. C’est particuliè­rement nécessaire dans mon métier. »

La pandémie de Covid-19 n’a fait qu’accélérer sa prise de conscience sur les failles d’une industrie boulimique de nouveautés. Comme beaucoup de créateurs, Yiqing Yin rêve d’un autre futur pour la mode. « Le confinemen­t a été un temps de repos pour me retrouver, me réinspirer. Dans une industrie comme la mode, faite de bruit, de pression, avec des cycles de création chronophag­es, le plus grand défi est de rester ancré dans ses croyances, fidèle à soi et de résister à l’appel du toujours plus et plus vite. Le risque sinon ? Perdre sa voie et surtout devenir répétitif ou interchang­eable. Il faut arrêter de penser qu’un créatif peut concevoir des projets d’exception tous les trois mois… Cette crise nous permet de redonner du sens à notre travail, de redéfinir le luxe. On doit être au service des gens pour rendre leur vie plus belle, pas pour les pousser à consommer de façon névrotique avec l’illusion d’être plus riches alors qu’ils s’appauvriss­ent en consommant mal. » La créatrice, mère d’une fille de 2 ans, veut désormais suivre son propre calendrier. « Je travaille à mon rythme sur une collection d’exception avec des artistes et artisans innovateur­s. Elle verra le jour quand elle sera aboutie. J’aspire à créer moins mais mieux. »

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