Madame Figaro

Entretien nature (2/2). Jean Rolin : « J’ai toujours gardé un oeil sur les oiseaux. »

- PAR LAETITIA CÉNAC

«“ean Rolin et les oiseaux » : ce pourrait être le sujet d’une thèse en littératur­e. Dans tous ses livres - il en a écrit une trentaine -, les oiseaux sont de passage : de la Corneille au Cardinal, du Chardonner­et à la Fauvette à tête noire, du Roselin du Sinaï au Souimanga de Palestine… Écrivain qui voyage, reporter, il écrit une oeuvre singulière, en marge, aux fascinante­s pérégrinat­ions, qu’elles aient lieu en banlieue ou à l’autre bout du monde.

JÀ l’heure du postconfin­ement, période au cours de laquelle nos congénères ont entendu les oiseaux, se sont mis à chanter sur les balcons, ont lu l’essai (1) et ont écouté leurs gazouillis sur le site Xeno-canto, il convenait de rencontrer cet homme, le plus ornitholog­ue de nos écrivains. Lui n’a pas attendu le cri d’alarme du CNRS, en 2018, pour déplorer la disparitio­n des oiseaux, les ravages de l’agricultur­e intensive, les dégâts de l’urbanisme sauvage. Voilà vingt ans qu’il n’a pas vu de Bouvreuil pivoine ! Habillé en bleu – sa couleur de prédilecti­on –, de sa belle voix sépulcrale il évoque son enfance, ses reportages en zones de conflits et ses livres, qui parlent de plus en plus d’oiseaux, comme

ou (2). Jean Rolin et les oiseaux ? Tout un poème…

MADAME FIGARO. – L’observatio­n des oiseaux est l’une des choses que vous préférez dans l’existence…

JEAN ROLIN. Et l’une de celles que je pratique depuis le plus longtemps. D’une façon générale,

les choses – les vices ou les vertus – qui vous tiennent le plus longtemps trouvent leur origine dans l’enfance. Ma curiosité pour diverses formes de la culture, tout en étant très vive, me paraît moins fondamenta­le, moins enracinée, que mon goût pour l’observatio­n des oiseaux, parce que j’ai commencé à les observer avant même de savoir lire.

L’enfance interminab­lement, comme disait Stendhal…

J’ai passé une partie de mon enfance chez ma grandmère, à Dinard, dans une maison qui disposait d’un jardin. C’était une époque – les années 1950 –, où il y avait plus d’oiseaux, notamment plus de petits passereaux. Mon intérêt pour les oiseaux se manifeste à un âge assez tendre – tendre mais cruel –, par le désir non de les tuer, mais de les voir de près. À l’instar de la plupart des naturalist­es, au moins jusqu’au milieu du XXe siècle, il a bien fallu que je commence par en assassiner quelques-uns… Avant que l’on exige le retrait de mes livres des bibliothèq­ues publiques, je précise aussi qu’il y avait à cette époque une telle abondance de petits oiseaux – comme d’ailleurs de papillons – qu’en prélevant quelques spécimens des uns ou des autres on ne mettait pas leur espèce en danger.

Un souvenir émerge-t-il ?

Je me souviens d’avoir été très frappé par un Troglodyte, une petite boule avec une petite queue relevée, qui fait son nid en boule. C’est le plus petit oiseau, avec le Roitelet, que l’on observe en France. Pamela Rasmussen, une grande ornitholog­ue que je cite dans

parle de ce moment assez merveilleu­x, dans la vie d’un enfant enclin à l’observatio­n des oiseaux, qui est la première fois où il reconnaît dans la nature une espèce auparavant repérée dans un guide ornitholog­ique. Par la suite, lorsque j’avais une dizaine d’années, avec ma famille, nous sommes allés vivre à Dakar.

Votre passion se développe…

Il y avait une plus grande variété d’oiseaux, et surtout des oiseaux plus étranges, de mon point de vue. C’est là que je suis passé à l’étape suivante, qui est la collection d’oiseaux vivants en volière.

Et cette volière, je l’alimentais à la fois en allant chez les marchands d’oiseaux et en allant dans la nature capturer des Cordonbleu­s à l’aide d’une cage trafiquée. Le Sénégal offrait à l’époque une telle profusion ornitholog­ique… Près du lac Rose, on voyait par exemple souvent des Grands Calaos – des oiseaux imposants, avec un énorme bec, qui marchent plus volontiers qu’ils ne volent. J’ignore si sur le territoire du Sénégal on en voit encore.

Dans vos livres, il y a toujours des oiseaux…

Dès le premier, à la première page, je cite un guide ornitholog­ique. Et j’ai fini par écrire

dont le sujet principal est l’ornitholog­ie. En reportage, même dans des contextes très tendus, j’ai toujours gardé un oeil sur les oiseaux. En 1995, à la fin du siège de Sarajevo, je me souviens d’avoir observé, au bord de la rivière qui traverse la ville, un couple de Cincles plongeurs, des oiseaux assez rigolos qui ont la particular­ité de marcher sous l’eau et sur le fond. Une des choses les plus inattendue­s que j’ai observées, c’est à Bandar Abbas, le grand port iranien situé sur le détroit d’Ormuz : une dizaine d’espèces différente­s, dont le Martin-pêcheur ou l’Échasse blanche, s’ébattant dans un petit cours d’eau extraordin­airement pollué. Quel est votre oiseau préféré ? J’adore la Poule d’eau, un oiseau charmant, sympathiqu­e. Pendant le confinemen­t, dans l’heure qui m’était accordée, j’allais au square du Temple, à Paris, observer le couple de Poules d’eau qui revient là chaque année.

Et le plus beau ?

Peut-être le Rollier d’Abyssinie. On voit aussi dans le sud de la France une espèce voisine, magnifique, avec différents tons de bleu. Et puis, qui n’aurait envie de rencontrer des créatures qui s’appellent la Locustelle tachetée, la Rousseroll­e effarvatte, le Garrot à oeil d’or ?

Que dire de la disparitio­n des oiseaux ?

Dans mon prochain livre, je parle de ça parmi d’autres choses. Je raconte ainsi qu’en compagnie d’une amie je traverse une route, sur la rive gauche de la Seine, en amont de Conflans-SainteHono­rine. On passe entre deux champs de céréales, au mois de mai, dans des conditions absolument idéales pour entendre le chant de l’Alouette, puis la voir s’élever verticalem­ent et se laisser retomber par paliers. Je lui dis : « Tu vois, tout est foutu. Il y a encore quinze ans, on serait passés par là et on aurait entendu des Alouettes. Et là, rien ! » Là-dessus, au moment où je termine ma phrase…

Tout n’est pas perdu !

Newspapers in French

Newspapers from France