Spécial/philo La philo a DROIT DE CITÉ
POURQUOI SERAIT-ELLE CANTONNÉE AUX CERCLES D’INITIÉS ? CINQ ÉCLAIREUSES DÉFENDENT SON UTILITÉ À L’ÉCOLE, À L’HÔPITAL, EN ENTREPRISE, EN PRISON... PENSER POUR FAIRE SOCIÉTÉ : LE SENS DE LEUR ENGAGEMENT.
POURQUOI EST-IL CAPITAL DE FAIRE ENTRER LA PHILOSOPHIE DANS LA VIE DE LA CITÉ ? Parce que nous sommes pris dans un flot incessant d’informations. Une nouvelle chasse l’autre. On se passionne un jour pour les feux de forêt en Californie ou la réforme des retraites et le lendemain, on n’y pense plus. La philosophie, elle, nous apprend à prendre notre temps, à nous asseoir un peu sur le chemin pour reprendre notre souffle. S’éloignant du torrent des chaînes d’infos et des réseaux sociaux, elle nous permet de renouer avec l’essentiel et de réfléchir dans le cadre de ce que Nietzsche nommait des « considérations inactuelles ». Elle nous montre la permanence des choses derrière l’apparence du changement, nous invite à prendre du recul et de la hauteur pour penser la complexité du réel. Que ce soit en prison, dans l’entreprise, à l’hôpital, la philosophie est l’antidote à la robotisation de l’être humain.
ACTRICE ET CHERCHEUSE, SPÉCIALISTE DE LA PHILOSOPHIE POUR ENFANTS
« Pour moi, les bénéfices de la philosophie telle qu’on peut la pratiquer de 5 à 17 ans sont au nombre de trois. Le premier est d’ordre cognitif. La philosophie va permettre aux enfants de prendre conscience qu’ils sont des êtres pensants, uniques, qui peuvent avoir des opinions personnelles et fabriquer des idées nouvelles. Grâce à cet enseignement philosophique, ils vont prendre le temps de penser. Le deuxième bienfait est une conséquence du premier. Le fait de prendre conscience de leur pensée va leur donner une plus grande légitimité, une plus grande estime d’eux-mêmes et, par la suite, une plus grande liberté pour penser les grandes questions que tout le monde se pose. Le fait de comprendre que face à ces milliers de questions, il y a des milliers de réponses permet de rompre avec les modèles de compétition ou de performance, où il n’y a qu’une seule vérité qui vaille ou qui gagne. Enfin, la philosophie apprend à dialoguer. Par ce dialogue, qui peut être contradictoire, l’enfant prend conscience d’appartenir à une humanité diverse. La philosophie fédère la multitude des idées sur le monde. »
« Un, deux, trois… Pensez ! », Éditions Chronique sociale (2019).
« La chaire de philosophie à l’hôpital est née d’une expérience douloureuse : l’accident d’un proche, sa lutte entre la vie et la mort, son séjour dans les soins intensifs, la lutte de nouveau pour le rétablissement, la rééducation, le récit de soi retrouvé. C’était à Garches, en 1993, et là, l’idée de placer une chaire de philosophie à l’hôpital, et non pas à l’université, comme un service hospitalier en lien avec les autres services, les patients et les soignants, les familles, m’a paru évidente. Nous soignons une personne et non une maladie, l’approche subjective du soin est donc importante. La chronicité transforme notre rapport à la santé, au corps, à la société : l’approche holistique du soin est obligatoire. On sait le mal-être qui traverse les soignants, l’épuisement professionnel des équipes et des internes. Réfléchir sur nos pratiques, nos moyens, le sens de la fonction soignante en partage, tout cela va dans le sens d’une présence accrue des humanités à l’hôpital. Avoir aussi un lieu où l’on peut prototyper et expérimenter, et pas uniquement enseigner et faire de la recherche. »
« Ci-gît l’amer. Guérir du ressentiment », Éditions Gallimard (2020).