“L’amour doit continuer à circuler”
MADAME FIGARO. – Vous avez créé une hotline puis un collectif de professionnels * pour évoquer les risques psychologiques sur les plus jeunes. Que redoutez-vous ?
JEANNE SIAUD-FACCHIN. – Depuis le début de la crise, la question des conséquences psychologiques sur les enfants a été peu explorée. Si les plus jeunes ont intégré ces nouveaux codes
– le masque, la distanciation physique, etc. – comme autant de règles du jeu, demeurent le problème du manque de concentration lié au port du masque et, surtout, la question du lien à l’autre. Comment partager émotions, sensations, en étant privé du visage de l’autre, du « non-verbal », des sourires…
Que proposez-vous pour compenser cela ?
Notre collectif suggère aux professeurs des écoles, voire aux collégiens masqués, d’agrafer leur portrait, une photo, sur leur veste ou leur pull. On recommande aussi aux enseignants des petits de mettre en place un « coin photos » pour y afficher des portraits.
L’important, dites-vous, est d’être innovant !
Je préconise, pendant quelques mois, d’oublier un peu le programme scolaire pour se focaliser sur les interactions, le chant, la créativité… Pourquoi pas d’imaginer un atelier d’écriture : les élèves interviewent le maître ou la maîtresse, dont ils ne voient souvent que les yeux, et élaborent son petit portrait. Tout ce qui favorise l’intelligence émotionnelle et le lien à l’autre doit être renforcé. Pour rester en lien avec les grands-parents ou les plus fragiles, on peut imaginer la confection de guirlandes symboliques, de farandoles de papier au prénom de l’enfant et de ses grands-parents, des échanges, postaux par exemple, de « coeurs cousus », une coutume qui consiste à remplir un coeur en tissu de petits secrets ou de mots doux. Ainsi, le lien n’est pas rompu. Il ne s’agit pas de nier la situation mais de sortir de la stigmatisation. L’amour, lui, doit continuer à circuler, donner de la force et de l’immunité.
Comment accompagner les adolescents masqués ?
Ce sont eux qui m’inquiètent le plus. J’aimerais que les tests se multiplient au collège et au lycée pour lever le niveau d’angoisse, autant que possible. Je redoute l’isolement des jeunes et crains une hausse vertigineuse de « sexe virtuel ». Si le terme de « génération sacrifiée » me fait horreur, je revendique celui de « génération Covid ». Ces jeunes appartiennent à la grande Histoire, il sera question d’eux dans les livres ! Ils doivent absolument se fédérer, lancer des idées, transformer leur statut de « victimes » en celui d’« acteurs ». SOPHIE CARQUAIN