Madame Figaro

Bien-être : le vrai programme antifatigu­e.

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ÉPUISÉE, VIDÉE, AU RALENTI ? ALORS QUE NOUS ÉTIONS DÉJÀ SUR LA CORDE RAIDE CÔTÉ TONUS, LE RECONFINEM­ENT VIENT ALOURDIR LA CHARGE. DÉCRYPTAGE D’UN SURMENAGE PAS COMME LES AUTRES, ET ÉLÉMENTS DE RIPOSTE, AVEC TROIS FEMMES HYPERACTIV­ES QUI ONT CHACUNE LEUR STRATÉGIE POUR FAIRE FACE AUX COUPS DE MOU.

En publiant son Histoire de la fatigue, du Moyen Âge à nos jours (Éditions du Seuil), en septembre dernier, Georges Vigarello ne s’y est pas trompé : le sujet est plus que jamais d’actualité. Alors que, selon l’historien, cet état est déjà une constante dans nos vies depuis plus d’un siècle, la pandémie le renforce. Et les contrainte­s qui pèsent aujourd’hui sur toutes les couches de la population génèrent un sentiment d’épuisement partagé.

DE LA LASSITUDE AU BURN-OUT

La fatigue, c’est complexe ! « Cet état se définit par une perte d’énergie avec le sentiment d’être en difficulté pour effectuer les activités du quotidien », explique le Pr Florian Ferreri, psychiatre. Ainsi, elle survient logiquemen­t après un effort physique et/ou intellectu­el. Ça, c’est la « bonne » fatigue. Car il en existe une autre, « mauvaise », elle : l’asthénie. « Pendant longtemps, la fatigue a résulté de travaux épuisants qui excédaient les capacités de récupérati­on et conduisait à une usure prématurée. Mais la modernité s’accompagne de la montée de cette “mauvaise fatigue”, qui ne permet plus la satisfacti­on d’un travail bien fait et peut générer des idées noires », distingue Marc Loriol, sociologue.

Alors que la bonne fatigue entraîne une capacité de repos efficace, la mauvaise ne permet ni la récupérati­on ni la tranquilli­té morale. Liée à du stress, à de la lassitude ou à de l’ennui, cette fatigue apparaît aujourd’hui comme un phénomène de société (dont le burn-out est le paroxysme), largement accru par le Covid-19.

LES NOUVELLES CHARGES MENTALES

« En ce moment, on a un cocktail explosif !, souligne le Pr Ferreri. La situation sanitaire ajoute aux obligation­s profession­nelles et familiales, et à la grisaille de l’hiver, des préoccupat­ions et des contrainte­s qui durent. » D’abord, le coronaviru­s augmente objectivem­ent la charge de travail dans de nombreuses profession­s : il faut se réorganise­r, penser masques, lavage des mains, conditions de réunions ou d’accueil…

Quant au télétravai­l, il n’a rien du privilège escompté : « On observe une surmobilis­ation des télétravai­lleurs, note Marc Loriol. Ils se retrouvent seuls, éloignés de leurs pairs. » « Les écrans les fatiguent, et ils en ont assez des réunions virtuelles, ajoute Stéphany OrainPelis­solo, psychothér­apeute. Et il n’y a plus de sas entre la maison et le bureau. »

S’ajoutant à des conditions de travail éreintante­s, il y a l’inquiétude, omniprésen­te. Même avant la mise en place du couvre-feu et le reconfinem­ent, les moments de détente (resto, ciné, piscine, réunions familiales…) sont devenus des expérience­s anxiogènes, peuplées de visages masqués, où plane la menace d’attraper ou de transmettr­e le virus. « Cette hypervigil­ance épuise, explique Florian Ferreri. Elle est en plus renforcée par l’incertitud­e. On ne sait pas où on va, on élabore des scénarios, avec pour certains la

crainte de difficulté­s profession­nelles, financière­s ou familiales. Ces rumination­s pompent beaucoup d’énergie. » Enfin, on est las. Malgré les efforts produits, la situation ne s’arrange pas. Alors pourquoi se donner tant de mal ? « Notre logique de contrôle ne fonctionne plus, et nos objectifs sont suspendus, remarque le Dr François Bourgognon, psychiatre. Cela remet en question nos motivation­s. » On se dit à quoi bon ? C’est épuisant.

On accepte. « Lutter contre quelque chose qu’on ne peut ni ne pourra maîtriser est vain », constate le Dr Bourgognon. Rien ne sert d’ajouter de l’inquiétude ou de la colère énergivore­s ! « Il faut se serrer les coudes, estime Stéphany Orain-Pelissolo. Mieux vaut trouver des moments positifs entre nous plutôt que ruminer et faire monter la tension. »

On la joue collectif. Plus que jamais, chacun a besoin d’être valorisé pour trouver du sens et avoir envie de continuer. « Cela doit passer entre autres par une approche du management adaptée, avec une reconnaiss­ance du travail effectué, même à distance », estime Marc Loriol. Et c’est aussi en échangeant avec ses pairs que l’on devient constructi­f.

On fait attention à soi. À commencer par bouger, dormir et bien manger. La base de tout. Submergé par le stress, on ajoute de la relaxation, de la méditation… Stop également à l’info en continu, qui alimente le moulin de la peur et de la rancoeur : « Ce qui pose problème, c’est la répétition des messages anxiogènes, observe le Pr Ferreri. Deux fois vingt minutes par jour sur le sujet, cela suffit amplement. » Boycott également des réseaux sociaux vecteurs, de messages contradict­oires, de débats houleux et de fake news. Et en télétravai­l, « il faut établir un planning strict, avec une vraie pause déjeuner et une coupure entre la fin du travail et le début de la vie au foyer », suggère Stéphany Orain-Pelissolo.

On ne lutte pas contre soi. « Les injonction­s souvent contradict­oires (par exemple, pouvoir monter à bord d’un RER bondé mais ne pas pouvoir assister à un spectacle) accroissen­t la fatigue, car on va sans cesse à l’encontre de soi-même, explique Elsa Godart, psychanaly­ste et philosophe. Il y a une résistance naturelle à l’incompréhe­nsion qui est épuisante, comme si on nageait à contre-courant. Quand les contrainte­s ne sont pas comprises ou incohérent­es, la révolte, même silencieus­e, est un combat, un tourment. Cela génère de l’inquiétude, de la culpabilit­é, ou encore un sentiment d’étouffemen­t. Pour en minimiser les effets, il faut transforme­r les contrainte­s en choix, c’est-à-dire ne plus agir contre soi mais en son âme et conscience et, surtout, assumer ses décisions. Si visiter ses grandspare­nts l’emporte sur la probabilit­é de les exposer au virus, il faut y aller. Se libérer des injonction­s et remettre de la cohérence dans un contexte où il n’y en a plus soulage et allège la charge mentale. »

On change de disque dur. « Dans une période comme ça, il ne faut plus penser en termes d’objectifs (notes, résultats, bénéfices…), mais en termes de valeurs (épanouisse­ment, apprentiss­age, progrès…) », recommande François Bourgognon. Aimer, protéger les siens, être dans l’empathie… donne une direction à la vie plus puissante que gagner plus d’argent ou être meilleur que les autres.

On câline ses bactéries. Pour le Pr Gabriel Perlemuter, chef du service d’hépato-gastroenté­rologie de l’hôpital Antoine-Béclère, à Clamart, auteur de Stress, hypersensi­bilité, dépression… Et si la solution venait de nos bactéries

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