BEAU VOYAGE intérieur
Un beau jour des années 1980, un jeune écrivain américain ayant grandi à Saint-Louis, Missouri, désespéré de voir ses manuscrits refusés, se lance sur un coup de tête dans la descente du Mississippi en canoë. Partant de sa source au lac Itasca, dans le Minnesota, il ira jusqu’à La Nouvelle-Orléans. Puis il en fait un livre, qui est publié en 1988 et qui paraît aujourd’hui en France. Soit le récit plein de verve et d’humour d’une expédition aux rebondissements multiples, en même temps que d’une aventure intérieure, et le portrait d’un fleuve magique, avec ses paysages superbes, ses écluses, ses énormes remorqueurs tirant des barges menaçantes, les villes qui le bordent, les usagers en tout genre de l’« Old Man River »… Idéal pour voyager par procuration en période d’immobilité obligée. I. P.
Chaque livre écrit permet d’écrire le suivant. Aussi réussi soit-il, il n’a qu’une utilité pour l’auteur, une marche qui vous amène vers celui d’après. Mais ce n’est pas comme si on montait un escalier aux marches égales, il y a des écarts, des reculs, des voies sans issue, des détours, des ratés, des avancées trop lentes et parfois une porte qui s’ouvre, flamboyante. Lire un auteur que l’on aime, livre après livre, vous permet de suivre cette drôle de progression qui va en avant, tangue, tremble et court. J’ai donc lu les sept livres de Carole Fives, curieuse de savoir à chaque fois où va nous mener sa voix directe et sincère. Dans son sixième, (collection « Folio »), la narratrice est une jeune mère célibataire qui s’évade la nuit de plus en plus loin, laissant son enfant dormir seul. C’est un livre de combattante drôle et courageuse. Pour son dernier roman, Carole Fives retourne dans le temps, nous sommes en 2004. Elle s’adresse à une jeune étudiante aux Beaux-Arts. Ses professeurs attendent d’elle qu’elle suive le dogme : « Surtout pas de peinture », ici, la caméra vidéo a remplacé le pinceau. Mais, elle, ce qu’elle veut, c’est peindre, dessiner et aussi aimer un garçon incertain nommé Luc. Carole Fives la questionne « Et toi, qu’est-ce qui ne fonctionne pas chez toi ? Pourquoi la vie ne te suffit pas ? Pourquoi aucun garçon ne tient la route ? Pourquoi tu n’en veux pas, de leurs projets, de leurs avenirs radieux ? » Est-ce que ce n’est pas la question que l’on se pose toutes et tous ? Alors que la vie parfaite définie par « ce qui doit être » ne suffit pas, qu’on le décide (on peint alors que la mode n’est pas à la peinture) ou qu’on ne le décide pas (on est une mère célibataire alors qu’on aurait aimé que cela soit autrement), comment faire avec la vie ? Carole Fives, livre après livre, nous offre avec générosité, sa réponse : ne pas obéir.