Madame Figaro

LA CHRONIQUE DE COLOMBE SCHNECK

LECTRICE ET ÉCRIVAINE

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Nous avions le même âge, nous étions les mères de petits enfants, nous vivions dans le même quartier de Paris. Valérie me saluait devant l’école, m’interrogea­it, m’encouragea­it, je n’en revenais pas ; j’imitais son grand sourire, son enthousias­me. Je n’avais pas son numéro de téléphone, elle n’était pas une amie, elle était ce genre de personne qu’on croise rapidement, mais dont la chaleur reste en vous, vous accompagne. Et puis un jour, j’ai appris qu’elle était morte, comme ça soudaineme­nt, laissant deux enfants et un mari amoureux et désespérés. Je ne comprenais pas, comment peut-on mourir quand on est une jeune mère, qu’on a encore tant d’amour à donner ? Il m’arrivait de croiser son mari, son air un peu fou, les mille idées qui se cognent dans sa tête. Je n’avais qu’une envie : lui parler du sourire de Valérie. Je l’entendais à la radio, je lisais ses articles, je cherchais un rayon dans sa voix : le sourire de Valérie. J’ai lu d’abord À son ombre, le livre de son mari, Claude Askolovitc­h, car je voulais avoir des nouvelles de Valérie, de son sourire. J’étais heureuse qu’il commence là, par l’évoquer. « Valérie souriait en deux fois, une esquisse timide d’abord, puis un mouvement plus affirmé qui animait ses lèvres, comme s’il fallait hésiter à la frontière de la joie. » « Hésiter à la frontière de la joie », ce livre en est la sismograph­ie exacte. Claude Askolovitc­h décrit avec précision une vie, la sienne, qui hésite, tremble, recule et y va. Il est à nouveau très amoureux, elle s’appelle Kathleen, mais à « la frontière de la joie », il hésite, tremble, recule. Ils ont deux enfants ensemble ; ceux qu’il a eus avec Valérie grandissen­t bien. Il travaille, écrit, côtoie les puissants, se faire virer, puis embaucher, les tourments normaux d’une vie. Il n’oublie rien de ce qui le retient et le porte à la fois, dans un mouvement double et contradict­oire, de ce qui est toujours présent, le sourire de Valérie qui est morte et l’amour de Kathleen qui est vivante.

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 ??  ?? ✐ À son ombre, de Claude Askolovitc­h, Éditions Grasset, 320 p., 20,90 €.
✐ À son ombre, de Claude Askolovitc­h, Éditions Grasset, 320 p., 20,90 €.

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