Madame Figaro

ÉDITO/« La leçon de la reine », par Adèle Van Reeth.

- PAR ADÈLE VAN REETH, PHILOSOPHE / ILLUSTRATI­ON MARC-ANTOINE COULON Elle a publié cette année « La Vie ordinaire » (Éd. Gallimard), et produit et anime « Les Chemins de la philosophi­e », sur France Culture.

Elle a illuminé notre automne, et il y a de fortes chances qu’elle brille plus que les décoration­s de Noël pendant nos vacances. Qui ça ? La reine, pardi ! Dans la série The Crown, on la suit, depuis son enfance, dans l’apprentiss­age de son métier. Du poids de la couronne sur sa tête de jeune fille aux crises diplomatiq­ues avec Kennedy ou avec Margaret Thatcher, les quatre saisons nous plongent dans la solitude d’une femme qui ne voulait pas le pouvoir, mais qui se résigne – on la plaindrait presque – à devenir celle devant qui tout le monde s’incline. Dans The Queen’s Gambit (Le Jeu de la dame), la reine est une des pièces, la plus puissante d’entre elles, mais dont la force n’est rien à côté de celle de l’héroïne, qui, elle aussi, force le respect en traçant silencieus­ement son chemin de championne d’échecs. Là encore, les dos se courbent. D’un côté, la reine d’Angleterre, qui ne manque de rien, mais a tout à apprendre : ne pas se plaindre, ne jamais s’expliquer (« never complain, never explain » passe pour le motto préféré de la famille royale), et, surtout, trouver dans la distance entre elle et les autres la ressource nécessaire pour bien jouer son rôle. Soeur, mari et enfants en payent le prix fort, mais il n’est pas demandé à la reine d’avoir du coeur. Mieux vaut se tenir à carreau, ce qui ne l’empêche pas, en privé, de lancer quelques piques (aussi cruelles que savoureuse­s). Un sacrifice couronné.

De l’autre, une jeune orpheline qui part de rien, et veut tout gagner. Pas de famille, pas d’argent, mais un don pour le jeu d’échecs et une forte addiction aux pilules vertes qui l’aident à affronter les plus grands joueurs de la planète. Rien à sacrifier, si ce n’est un pion ou sa reine (le fameux queen’s gambit), ce qu’elle fait sans se plaindre et sans s’expliquer. On se bat et on tremble avec elle. De Sa Majesté assise sur un trône à la championne qui fait plier le roi, la reine est celle qui transforme le destin de pion en déterminat­ion. On ne naît pas reine, on le devient.

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