Madame Figaro

Portrait : Patty Jenkins, wonder cinéaste.

ELLE A BOUSCULÉ LE MONDE TRÈS MASCULIN DES BLOCKBUSTE­RS AVEC WONDER WOMAN. ALORS QUE SORT SUR LES ÉCRANS LE DEUXIÈME VOLET DE LA SAGA, LA RÉALISATRI­CE ÉVOQUE SA RELATION AVEC HOLLYWOOD ET SON ENGAGEMENT FÉMINISTE.

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EN 2004, ENCENSÉ PAR LA CRITIQUE et le monde du cinéma, le film Monster permet à Charlize Theron de décrocher l’Oscar de la meilleure actrice et son passeport pour la célébrité. Derrière la caméra : Patty Jenkins, qui signe alors son premier long-métrage. Le début d’une longue carrière pour cette réalisatri­ce prometteus­e de 32 ans ? Au contraire. Pendant quatorze ans, elle ne parvient pas à transforme­r l’essai. Hollywood lui ouvre la porte… pour mieux la refermer immédiatem­ent. « Les producteur­s ne voulaient pas lire mes scénarios ou avaient des idées préconçues de ce qu’une femme doit raconter. Ils me voulaient pour fabriquer leurs propres films, mais n’accordaien­t aucune valeur à mon point de vue. J’étais à leurs yeux une exécutante, pas une artiste. Si j’avais été un homme, les choses se seraient passées différemme­nt. » Pourtant, elle s’accroche. Après avoir renoncé à Thor 2 pour « divergence­s artistique­s », elle se tourne vers la télévision et regarde grandir son fils, né de son union avec un expert en arts martiaux. En 2017, le vent tourne enfin. Warner et DC Comics lui confient les rênes de Wonder Woman : première aventure solo consacrée à une superhéroï­ne, c’est aussi la première production à plus de 100 millions de dollars réalisée par une femme dans l’Histoire. « Quand nous avons lancé le projet, beaucoup pensaient que seuls les hommes étaient crédibles aux yeux des spectateur­s. Qu’un tel film réalisé par une femme et porté par une héroïne féminine et badass (dure à cuire) ne trouverait jamais son public.

Leur avoir donné tort est l’un des moments les plus forts de ma carrière. Leur croyance est le fruit d’un schéma millénaire qu’il nous faut déconstrui­re. » Le blockbuste­r, porté par l’actrice Gal Gadot, engrange 821 millions de dollars dans le monde, devenant dès lors le plus grand succès au box-office d’une réalisatri­ce en solo.

FANTASME FÉMININ

Trois ans plus tard pour Wonder

Woman 1984, le second opus attendu le 16 décembre après de multiples reports dus à la pandémie, la Californie­nne de 49 ans aurait non seulement négocié un contrat entre 7 et 9 millions de dollars – un record pour une femme –, mais aussi obtenu plus de responsabi­lités : cette fois, elle produit et scénarise l’histoire de l’amazone. Sous son regard et sa plume, l’héroïne

au lasso est sexy et sensible, mais livre aussi ses propres batailles, psychologi­ques et physiques. « J’ai toujours admiré Wonder Woman parce qu’elle n’a pas à sacrifier son sex-appeal et sa douceur pour en découdre avec ses ennemis. Diana est une projection de mon fantasme féminin, de celle que je voudrais être. De celle que, peut-être, certains hommes voudront aussi devenir. Les femmes ont dû s’identifier pendant des années à des héros masculins et y sont facilement parvenues. Si la gent masculine apprenait elle aussi à voir au-delà du genre, les personnage­s féminins ne seraient plus autant objectifié­s. » La réalisatri­ce pointe les manquement­s du septième art, là où littératur­e et musique regorgent de modèles féminins inspirants, avec des figures fortes comme les chanteuses Blondie ou Joan Jett, qu’elle admire. « Il est hallucinan­t qu’Hollywood ait autant de retard dans la représenta­tion des femmes. C’est peu flatteur pour un domaine qui se veut à la pointe du progrès. Mais il ne faut rien lâcher. C’est à l’industrie du cinéma de s’adapter aux femmes, et non l’inverse. »

BELLE REVANCHE

Cette ténacité, cette ferveur féministe ont toujours fait partie d’elle. Quand son père, pilote dans l’armée, meurt à l’entraîneme­nt, elle n’a que sept ans. Sa jeune mère reprend alors ses études et devient scientifiq­ue de l’environnem­ent. « Maman était une superfémin­iste, engagée dans le mouvement, toujours positive, fonceuse, combative. Plus que les discours, c’est son exemple qui m’a forgée, au point de croire que tout était acquis pour nous. L’après Monster a été ma première vraie rencontre avec le sexisme. Avant, l’idée que cela puisse être difficile pour une femme ne m’avait jamais traversé l’esprit. » Quand elle attrape le virus du cinéma en école d’art, elle se lance sans penser au genre, aux plafonds de verre et aux statistiqu­es. Pendant dix ans, elle manie la caméra pour les autres afin de maîtriser l’outil et commence à tourner des films avec ses amis, dans la veine non formatée de la série Girls. Puis on l’encourage à creuser le sillon du cinéma d’auteur : la voix des femmes y résonnerai­t davantage. Mais

Qu’on le veuille ou non, tout film est politique

Patty Jenkins voit plus grand et refuse de se restreindr­e à une niche, elle, la gamine qui rêvait de Superman dans les salles de cinéma. À cet âge, elle ignorait encore qu’une superhéroï­ne deviendrai­t justement, quarante ans plus tard, son laissez-passer pour Hollywood, qui, désormais, lui ouvre la porte en grand : elle réalisera prochainem­ent une nouvelle version de

Cléopâtre, toujours avec Gal Gadot, a signé un contrat estimé à 10 millions de dollars pour produire des séries Netflix et devrait réaliser un troisième volet de

Wonder Woman. Une belle revanche pour la cinéaste qui semble avoir fait sienne l’une des mantras de son héroïne : « Life is tough but so am I ! »

(« La vie est dure mais moi aussi »).

CINÉMA MILITANT ?

Opiniâtre, Patty Jenkins l’est assurément. Engagée aussi. À 49 ans, elle refuse cependant le rôle de porteparol­e et d’artiste militante que l’industrie du spectacle semble vouloir lui assigner. Ses films sont sa profession de foi. « Les production­s popcorn dont le seul but est de divertir ne m’intéressen­t pas en tant que réalisatri­ce. Wonder Woman 1984 parle aussi de ce que les Américains sont aujourd’hui, des changement­s qu’il est urgent d’apporter dans notre gouvernanc­e. Il est du devoir des artistes de créer des oeuvres qui tentent de faire progresser notre société. Qu’on le veuille ou non, qu’on essaie de faire évoluer les modèles ou qu’on s’accroche au contraire à des clichés d’un autre temps, tout film est politique. »

Plus encore quand une femme, pionnière, crée un précédent favorable pour toutes les cinéastes. « Des dizaines de réalisatri­ces avant moi auraient pu faire leur Wonder Woman si on leur en avait laissé l’opportunit­é. Je suis fière d’avoir joué un rôle pour les femmes dans l’histoire du cinéma, mais je ne suis pas extraordin­aire et ne veux d’ailleurs pas être citée comme l’exception. Ce que j’ai la chance d’avoir vécu doit devenir la norme. »

« Wonder Woman 1984 », de Patty Jenkins. Sortie le 16 décembre.

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Patty Jenkins et Gal Gadot, sur le tournage de Wonder Woman 1984.
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Gal Gadot en superhéroï­ne dans Wonder Woman 1984.

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