Madame Figaro

Musique, télé, art…

- PAR PAOLA GENONE

Drapée dans une robe noire années 1940, elle a laissé le jury sans voix lors de sa performanc­e aux derniers Brit Awards. Celeste, nouvelle reine de la soul, a tout emporté : les larmes, les frissons, la statuette. Celeste, de son vrai nom Epiphany Waite, anglaise d’origine jamaïcaine, est pour Mick Jagger « la voix de 2021 ». Consacrée, comme Billie Eilish, par le prix Sound de la BBC, elle a collaboré avec le frère et alter ego de la star américaine. Après un EP irrigué de soul, Celeste livre maintenant un album magistral, Not Your Muse.

Madame Figaro. – Vous avez connu une ascension fulgurante dès votre premier single, et des artistes tels que Janelle Monáe, Elton John ou Spike Lee ont salué votre talent. Cela a-t-il augmenté la pression au moment d’enregistre­r cet album ?

Celeste. – Quand le succès m’est tombé dessus, j’ai eu le vertige. On m’a comparée à Amy Winehouse, et j’ai eu la sensation qu’il fallait que je reproduise une image que les gens vous collent dessus dès que vous réussissez. On m’a dit : « Reste toi-même », « sois soul, mais ne tombe pas dans le jazz ou le blues, car ils ne sont pas à la mode ». Tout cela est ridicule : la pop, la soul, le hip-hop sont faits de blues, de jazz, de boogie-woogie. Ces musiques sont les branches d’un grand arbre séculaire. Et un artiste se réinvente tant qu’il vit.

Dans quel état d’esprit avez-vous imaginé Not Your Muse ?

Cet album est né entre Londres et Los Angeles, le blues et la pop orchestral­e, dans une liberté créative. Je n’ai pas voulu des producteur­s à la mode que me suggérait mon label, mais des profonds connaisseu­rs de musique, comme Josh Crocker qui m’a aidée à produire Love Is Back. J’ai écrit la chanson Not Your Muse, qui donne son titre à l’album, comme un manifeste : j’ai 26 ans, et je n’ai aucune intention d’être la muse d’une machine à faire et à défaire les artistes.

Comment s’est faite votre culture musicale ?

Enfant, j’étais souvent avec mes grands-parents maternels : je me souviens de mon grand-père et de sa Jaguar rouge cerise où on écoutait Aretha Franklin ; de ma grand-mère dansant sur les Supremes. Ma mère m’a élevée seule, à Brighton, et j’ai très peu connu mon père jamaïcain, un acteur très fantasque. Parfois, au téléphone, il me faisait résoudre des quiz musicaux où les Beatles étaient omniprésen­ts. J’avais 16 ans quand il est mort. Dans son appartemen­t, j’ai découvert des tonnes de vinyles de Billie Holiday, Serge Gainsbourg, Édith Piaf… Je suis moi-même devenue collection­neuse de vinyles.

Quand avez-vous commencé à chanter ?

Ma mère m’avait inscrite à une école de ballet et musique. J’avais 9 ans quand Miss Ross, ma prof de chant, l’a appelée pour lui dire : « Epiphany a un grain de voix intéressan­t. » J’ai chanté dans une chorale, et je n’ai jamais arrêté d’étudier, tout en faisant de la scène. À Brighton, il était facile de jouer dans les cafés. J’étais fan d’un chanteur extraordin­aire, Rory Graham… devenu célèbre sous le nom de Rag’n’Bone Man. Il dit avoir connu le succès accidentel­lement. C’est un peu comme moi : un soir, je poste un morceau sur YouTube et, quatre ans plus tard, je me retrouve à travailler avec Jamie Hartman, qui a produit le hit Human, de Rag’n’Bone Man.

Sur la pochette de l’album, votre portrait rappelle les toiles des constructi­vistes russes. L’art vous inspire ?

Cette peinture a été faite par l’artiste moscovite Elizaveta Porodina. Je suis passionnée par le surréalism­e, par Dalí, Paul Eluard, la merveilleu­se Gala, qui fut l’amante de l’un, la femme de l’autre et une femme extraordin­aire. Je suis fascinée par l’érotisme du photograph­e anglais John Willie, par les clichés qu’il publiait dans le magazine Bizarre à la fin des années 1940. Dans un tout autre style, j’aime le travail des photograph­es africains Sanlé Sory et Malick Sidibé.

Votre univers visuel est très onirique. Quels sont les artistes qui vous fascinent en musique ?

Les chanteuses Florence Welch et Janelle Monáe, de vraies tragédienn­es du rock. J’adore Marlene Dietrich, son expressivi­té, sa théâtralit­é, ses smokings et ses déshabillé­s aguicheurs. Sur scène, chacune de mes tenues est en symbiose avec un personnage : pour Strange, une chanson sur la perte, je m’imagine en Miss Havisham, héroïne de Charles Dickens qui passe sa vie seule, en robe de mariée. Pour Love Is Back, j’aime porter les couleurs osées de Tamara de Lempicka. J’adore ses femmes hollywoodi­ennes, à l’aise comme Greta Garbo devant un objectif, fumant une cigarette et flirtant ouvertemen­t.

Not Your Muse, Caroline.

Celeste fait partie des nominés aux Golden Globes 2021 (28 février) pour la chanson « Hear My Voice », du film « Les Sept de Chicago », d’Aaron Sorkin.

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