COMMENT SURVIVRE AUX ONDES NÉGATIVES
Auteure du jubilatoire podcast Philosophy Is Sexy et créatrice d’un compte Instagram, la philosophe Marie Robert décode les antimantras du moment.
O“ON NE VOIT PAS LE BOUT DU TUNNEL…”
« C’est effectivement une des phrases que l’on entend le plus… Comme si depuis un an, on était sans arrêt aspiré en arrière, avec cette perspective de liberté, là-bas au loin, qui se dérobe sans cesse… Et si la réponse à cette angoisse était de prendre le contre-pied ? On ne voit pas le bout du tunnel ? Mais c’est tant mieux ! Pour moi, cette image n’évoque pas du tout la lumière qui rejaillit après l’obscurité, elle convoque plutôt la fin, la mort, la sortie ultime… Donc, je l’avoue, je n’ai pas très envie de voir le bout de ce fameux tunnel ! L’existence est un tunnel, toute la question est de savoir comment on l’occupe, ce qu’on y fait, ce qu’on y met… »
“JE N’AI PAS LE TEMPS DE M’ENNUYER MAIS JE M’ENNUIE TERRIBLEMENT”
« Le désarroi qu’exprime cette plainte est celui de la perte de sens. Le “sens” philosophique se définit par le but (ce qu’on voit) et la signification (ce qu’on comprend). Il est clair que l’un et l’autre sont assez… opaques ces temps-ci ! L’occupationnel régit toujours nos vies, il n’y a pas de difficulté à remplir nos journées, bien au contraire ! Chaque contrainte qui survient alourdit la barque, certains s’y réfugient sans doute… Mais le ressort de la petite comédie du “je suis débordée” est comme cassé : notre absence de compréhension de ce qu’on vit ou… ne vit pas la rend tout à coup difficile à supporter. Sans “divertissement” (tout ce qui nous détourne d’une réalité déplaisante, pour Pascal), privée de tout ce qui met de la chair sur l’os du quotidien, cette routine interpelle très durement. C’est peut-être pour cela qu’en ce moment tant de couples vacillent… Mais n’est-ce pas aussi l’occasion, puisqu’il n’y a plus – ou si peu – d’interférences, de prendre le temps de s’arrêter sur l’autre, d’ouvrir des espaces de dialogue avec lui, de retrouver ou de… trouver vraiment ce qui fait qu’on s’aime au-delà des habitudes et des rituels domestiques ? Il faut du courage et de l’exigence pour cela, la fatigue est souvent présente, mais quelle chance nous tenons là ! »
“JE ME SENS RÉVOLTÉE MAIS IMPUISSANTE…”
« Cette colère, plus ou moins teintée de résignation, ronge beaucoup d’entre nous. D’autant qu’on ne sait comment la convertir en action collective… Eh bien, il nous reste un espace possible, libre et vaste : celui de l’action sur soi ! Je suis très frappée de l’inventivité que manifestent les jeunes en ce moment sur Instagram ou Tik Tok, cette façon dont ils travaillent la re-création d’eux-mêmes, leur look, leurs cheveux, leur maquillage, si l’on veut être réducteur… Se mettre à la muscu n’a rien de dérisoire : on agit, on voit des résultats, c’est salvateur quand rien ne bouge par ailleurs. Ce n’est pas un hasard non plus si les cours en ligne explosent en ce moment : cet appétit de nouveaux savoirs participe de cette création de soi… »
“ON NE VA PAS SE PLAINDRE, ON N’A PAS CONNU LA GUERRE !”
« Cette exhortation à relativiser, notamment lorsqu’un jeune ose se plaindre de sa vie peau de chagrin, n’a, selon moi, rien à voir avec une forme de sagesse. Elle est à la fois assez ridicule – quand on se casse le poignet, à quoi sert de penser “j’ai de la chance, au moins, je ne suis pas en chimio” ? Et dangereuse… Relativiser, c’est nier son émotion. Appeler à relativiser, c’est nier l’émotion de l’autre. Alors qu’accueillir son chagrin ou celui d’autrui, c’est se confronter à l’intensité de la vie ! Le récit de ce qu’on éprouve est capital. Sans cette reconnaissance de la souffrance subie, on aboutit à l’aigreur, à la rancoeur, à la frustration qui, elles, sont dévorantes… Alors oui, plaignonsnous si nous en avons besoin ! »