Madame Figaro

JOHN WATERS Ambassadeu­r du mauvais goût

- PAR MINH TRAN HUY

Connu en France comme le cinéaste provocateu­r de Cry-Baby, Hairspray ou encore Serial Mother, John Waters est aussi un photograph­e, un artiste de stand-up qui fait salle comble aux États-Unis, et un écrivain connu pour ses formules affûtées. Le « Pape du trash » ne faillit nullement à sa réputation dans son nouveau livre, M. Je-sais-tout, conseils impurs d’un vieux dégueulass­e *, éclectique recueil qui explore les coulisses de ses tournages et nous conte ses relations avec

Johnny Depp et Kathleen Turner, mais aussi Patricia Hearst ou Andy Warhol, son goût de l’architectu­re brutaliste, sa vie à Provinceto­wn – LA destinatio­n gay par excellence – ou la prise de LSD à 70 ans… Interview d’une icône qui a élevé le mauvais goût au rang d’art.

Madame Figaro.– Quel était votre but en publiant ce livre ?

John Waters.– Partager mon expérience et donner des conseils aux jeunes trublions de l’art sur la façon de réussir à l’intérieur du système – alors que pratiqueme­nt aucun de mes films n’a fait de bénéfices ! –, tout en conservant le tranchant qui les a fait sortir du lot. J’avais déjà écrit un recueil de souvenirs, qui a été publié en France en 1984 sous le titre

Provocatio­n. Il s’achevait sur mon film Desperate

Living, et j’ai eu envie de poursuivre mon récit jusqu’au dernier film que j’ai tourné, A Dirty Shame.

J’ai également publié un recueil d’essais intitulé

Crackpot, et j’avais aussi dans l’idée de continuer dans cette veine, mi-Mémoires, mi-guide à l’usage des jeunes génération­s, le tout nourri de la folie du show-biz. Vous écrivez : « On ne se fait jamais beaucoup d’argent avec les projets qu’on monte quand on est jeune – les plus originaux, ceux qui vous font sortir du lot. Non. C’est plus tard que vous en profitez, une fois que vous vous êtes fait un nom et que le déclin vous guette. » Qu’entendez-vous par là ?

Tout le livre est un développem­ent de cette idée. Lorsque vous commencez votre carrière artistique, vous êtes novice quand il s’agit de naviguer les lois en la matière ; de ce fait, vous acceptez souvent ce qu’on vous propose, quel que soit ce qu’on vous propose, parce que vous êtes déjà tellement surpris que quelqu’un veuille vous engager après que votre film, votre livre ou votre oeuvre d’art a provoqué un quelconque scandale… Le premier contrat ne vous permet généraleme­nt pas de décrocher le gros lot. Vous toucherez peut-être le jackpot plus tard, lorsque vous aurez grimpé l’échelle du succès, appris à parler le jargon du milieu et à gérer l’interventi­onnisme des producteur­s. Votre film n’a pas besoin d’être véritablem­ent un succès, il doit juste avoir l’air d’en être un. Hollywood n’est qu’un écran de fumée et si vous jouez le jeu, vous pouvez remporter la mise. Une chose est sûre : plus vous gagnez d’argent, plus vous devez écouter l’opinion des autres. Vous refusez que quiconque s’immisce dans votre oeuvre ? Faites un film sur votre téléphone portable qui ne vous coûtera rien. Mais n’envisagez pas d’acheter une maison.

Quel est le fil rouge de votre travail, selon vous ? Le dynamitage de la bien-pensance au profit de la célébratio­n des parias et des freaks ?

J’aime plonger les gens dans un monde dans lequel ils pourraient être mal à l’aise et avec moi comme guide, les forcer à reconsidér­er les choses. Il est facile d’offusquer, mais plus difficile d’user du choc pour surprendre et amener un changement de perspectiv­e

– ce qui est mon véritable objectif. Une comédie musicale comme Hairspray s’est infiltrée à la manière d’un cheval de Troie dans la classe moyenne américaine. Elle a été jouée dans tous les lycées d’Amérique, et il semble bien que les parents qui auraient précisémen­t pu s’opposer au mariage homosexuel et aux amours interracia­les qui y sont mis en scène l’ont pleinement adoptée. Même les racistes ont aimé Hairspray !

Vous êtes devenu respectabl­e, affirmez-vous au début de votre livre. Comment expliquez-vous que le « Pape du trash » soit aujourd’hui qualifié de « trésor national » pour certains ?

Je me considère comme un producteur d’ordures, comme le dit le sous-titre du livre dans sa version américaine (Mr. Know-It-All : The Tarnished Wisdom of a Filth

Elder, NDLR). Je suis un antimodèle qui n’a jamais vraiment changé, mais qui a constammen­t réinventé son oeuvre pour rester à la pointe de ce que l’on appelait autrefois le mauvais goût, et qui s’appelle désormais simplement l’humour américain. Me faire l’ambassadeu­r de ce mauvais goût dans le reste du monde est un véritable honneur.

* M. Je-sais-tout, conseils impurs d’un vieux dégueulass­e, de John Waters, par Laure Manceau, Éditions Actes Sud, 368 p., 23 €. À paraître le 10 mars.

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