Madame Figaro

Expos, cinéma, série, musique…

- PAR VALÉRIE DUPONCHELL­E

Le Musée du Luxembourg raconte en 70 oeuvres l’éclosion d’un phénomène favorisé par la Révolution française, puis éteint par la Monarchie de Juillet, en 1830. Docteur en histoire et théorie de l’art, la commissair­e de l’exposition, auteure du catalogue, Martine Lacas, dépeint l’évolution des moeurs et la folle ténacité de ces femmes, pas toutes bien nées, pas toutes portées par le sérail de l’art.

Madame Figaro. - Vous dépeignez l’éclosion des peintres femmes dans le sillage de la Révolution. Pourquoi s’arrête-t-elle à la Monarchie de Juillet ?

Martine Lacas. - Il y a une grande affluence d’artistes dans les salons, des rendez-vous culturels majeurs, qui y convoitent tous une éventuelle réussite. Dont nombre de femmes plus ou moins bien formées, et soumises à une critique bien plus sévère que les hommes. Mais la société de la Monarchie de Juillet tend à ramener les femmes au foyer.

Quelles sont les pionnières ?

La plus ancienne famille d’artistes, et la plus restreinte, regroupe les Académicie­nnes. Les premières sont admises en mai 1783 à l’Académie royale de peinture, et leur nombre est limité à 4. La plus célèbre, Élisabeth-Louise Vigée Le Brun, quitte la France dès 1789, parcourt avec grand succès les cours européenne­s, de l’Italie à la Russie : j’ai donc choisi l’Autoportra­it de l’artiste

peignant le portrait de l’impératric­e Elisaveta Alexeevna, 1800, pour ouvrir l’exposition. Pour être admise, elle aussi, la pastellist­e Adélaïde Labille-Guiard doit se former à l’huile auprès de l’académicie­n François-André Vincent, son ami d’enfance, et en fait poser d’autres, comme Joseph-Benoît Suvée. Certaines connurent une fin tragique comme Rosalie Filleul de Besnes, en 1794, qui abandonna la peinture après son mariage. « Hélas ! je me souviens qu’au moment où j’allais quitter la France pour fuir les horreurs que je prévoyais, Madame Filleul me dit : “Vous avez tort de partir, moi je reste, car je crois au bonheur que doit nous procurer la révolution.” Et cette révolution l’a conduite à l’échafaud », écrit Vigée Le Brun dans sa correspond­ance. Dans son Autoportra­it peint en 1775, Rosalie Filleul de Besnes a 23 ans.

Quelles sont les typologies d’artistes femmes ? Vers 1800, ce qui est nouveau, ce sont des femmes qui se lancent dans la carrière d’artistes sans pour autant appartenir à une famille d’artistes… Comme l’étaient en revanche Marguerite Gérard, dont la soeur Marie-Anne est miniaturis­te et l’épouse de Jean-Honoré Fragonard. Ou Marie-Éléonore Godefroid, dont la grand-mère, la « veuve Godefroid », était la restauratr­ice du roi et dont le père, peintre comme aussi son frère, reprit l’atelier maternel. Ou encore Marie-Nicole Vestier, à la fois fille et épouse de peintre. J’aime particuliè­rement L’Auteur

à ses occupation­s, son autoportra­it peint en 1793, qui la montre symbolique­ment entre palette et berceau. Dans les ateliers qui se créent pour accueillir les femmes, les mères, soeurs et compagnes des maîtres sont souvent impliquées au quotidien pour le suivi des travaux.

D’où viennent ces génération­s spontanées d’artistes femmes ?

Elles sont un certain nombre ! Leur parcours ne se traduit pas forcément par une touche singulière, si ce n’est celle de leur apprentiss­age jusqu’à leur indépendan­ce stylistiqu­e. Marie-Guillemine Benoist, formée par Élisabeth Vigée Le Brun, entre en 1786 à l’atelier de David, investi sous l’Empire dans la fonction de « Premier peintre » par Napoléon Ier. Hortense Haudebourt-Lescaut est fille d’un parfumeur et bourgeois de Paris : le Louvre a son Portrait de l’artiste, peint en 1800, qui clôt l’exposition. Pauline Auzou est élève de David après avoir fréquenté l’atelier de Jean-Baptiste Regnault. Marie-JoséphineA­ngélique Mongez, épouse de l’archéologu­e Antoine Mongez, deviendra l’une des rares femmes peintres d’histoire sous le Directoire et le Ier Empire.

Pourquoi avoir choisi cette belle qui lace sa chaussure comme affiche ?

Le Portrait présumé de Madame Sostras laçant son chausson, peint en 1802 par Marie-Denise Villers, clin d’oeil à l’Hermès rattachant sa sandale qui est entré au Louvre en 1798, est justement un dépôt du Louvre au Musée de la Chaussure de Romans-sur-Isère. « Nisa » Villers était une artiste assez fameuse pour qu’un voyageur anglais, faisant la tournée des ateliers parisiens, lui rende visite sur les conseils d’une peintre anglaise qui séjournait souvent à Paris. Les guides et leurs recommanda­tions n’existaient pas encore.

Peintres femmes, 1780-1830. Naissance d’un combat, jusqu’au 4 juillet, au Musée du Luxembourg, à Paris. museedulux­embourg.fr

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La toile de Marie-Denise Villers, 1802, qui sert d’affiche à l’exposition.
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L’Attrapeur de mouche, d’Isabelle Pinson,1808.

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