Madame Figaro

Artisans et designers : créateurs d’émotions.

VIRTUOSES DU TISSAGE, DE LA MARQUETERI­E, DE LA CÉRAMIQUE…, ILS TRAVAILLEN­T MAIN DANS LA MAIN AVEC DES DESIGNERS. ENSEMBLE, CES DUOS EFFACENT LES FRONTIÈRES ET APPORTENT AUX OBJETS CE SUPPLÉMENT D’ÂME QUE L’ON RECHERCHE TANT.

- PAR MARIE-SOPHIE N’DIAYE / PHOTOS LOUIS TERAN

INDIA MAHDAVI & LISON DE CAUNES PAILLE POP

DIPLÔMÉE EN ARCHITECTU­RE, DESIGN INDUSTRIEL, design de mobilier et graphisme, India Mahdavi a fait du bonheur la marque de fabrique de son studio créé en 2000. Lison de Caunes, elle, a choisi, après ses études à l’Union centrale des Arts décoratifs, de remettre au goût du jour la technique oubliée de la marqueteri­e de paille, perpétuant la tradition de son grand-père, le décorateur André Groult. Devant le succès, elle a inauguré son atelier au début des années 1990. Elles se sont trouvées il y a trois ans autour d’une table ronde qui allie savoir-faire et imaginatio­n. MADAME FIGARO. – Comment vous êtes-vous rencontrée­s ? INDIA MAHDAVI. – Je voulais réinterpré­ter la marqueteri­e de paille. J’ai eu le déclic quand je planchais sur mes tables conçues autour du thème « Les héros de mon enfance ». J’ai eu envie de donner un nouveau visage à Bugs Bunny en utilisant pour le représente­r des matériaux naturels. C’était enfin l’occasion d’aller voir Lison.

LISON DE CAUNES. – Et nous avons fait de la très sérieuse marqueteri­e de paille quelque chose d’amusant. Quel est votre projet en cours ?

I. M. – Encore une table, cette fois-ci inspirée de la cible That’s All Folks, celle que l’on voit au générique des dessins animés américains.

Qu’avez-vous appris l’une de l’autre ?

L. C. – Je n’ai pas une imaginatio­n débridée, mais India m’emmène dans son monde. Elle me dit : « Viens, on va faire mon Bugs Bunny », et je la suis !

I. M. – L’expertise de Lison est essentiell­e, et sa main également : elle apporte une dimension d’affect qu’aucune machine ne peut réaliser.

Quels sont les liens entre artisanat et design ?

L. C. – Je sais travailler la paille et India sait dessiner un meuble, inventer des motifs… À un moment donné, ces deux métiers se rencontren­t.

I. M. – Le design va au-delà d’une réflexion sur l’usage. Il prend en compte la fabricatio­n, l’empreinte carbone… Mon travail avec Lison s’inscrit dans cette approche avec une volonté de préserver des savoir-faire. D’autres collaborat­ions en vue ?

I. M. – J’ai envie de réaliser une autre table inspirée du corail.

L. C. – Parfois India pense à des motifs sans savoir s’ils sont réalisable­s. À moi de lui dire oui ou non. Alors, d’accord pour le corail !

CLARA HARDY & ÉLISE FOUIN RÊVE DE SOIE

É LISE FOUIN ET CLARA HARDY auraient pu se rencontrer à l’École Boulle, où elles ont toutes les deux fait leurs études, la première en orfèvrerie et design, la seconde en menuiserie et design. Mais la vie en a décidé autrement. Élise Fouin a fait ses armes de designer chez Andrée Putman, avant de monter son studio en 2008. Clara Hardy a, elle, fondé en 2015 Sericyne, entreprise spécialisé­e dans les produits en soie non tissée, technique qui consiste à laisser les vers déposer naturellem­ent leur soie sur des supports. Leurs chemins se sont finalement croisés à l’occasion d’un programme sur l’innovation, dans le cadre duquel elles ont créé une lampe délicate et unique. MADAME FIGARO. – Comment vous êtes-vous rencontrée­s ? CLARA HARDY. – Sericyne avait remporté un concours avec R3iLab, un réseau d’innovation pour l’industrie. Dans ce cadre, nous devions développer un projet montrant notre capacité à inventer et R3iLab nous a mis en contact avec Élise.

Parlez-nous de votre lampe, de ses spécificit­és…

C. H. – Il s’agit d’une lampe en soie dont la fabricatio­n a nécessité vingt-cinq jours de travail et 1 500 vers à soie. Chez Sericyne, on crée une soie non tissée entièremen­t naturelle. Les vers ne produisent pas de cocons. Ils sont installés sur des moules, où ils déposent leur soie. Là, ils étaient sur une structure plate. Élise a transformé cette soie plate en des formes 3D et en incluant des éléments lumineux.

ÉLISE FOUIN. – J’aime la matière. Elle est très souvent le point de départ de mes créations. Mais avec Sericyne, j’ai dû créer « ma matière ». En effet, ce ne sont pas des femmes et des hommes qui tissent la soie Sericyne, ce sont les vers qui la fabriquent en évoluant sur un support. Contrairem­ent à mes habitudes, je n’ai pas travaillé une matière finie, mais j’ai imaginé une structure pour guider les chenilles, pour qu’elles produisent une soie répondant à mes besoins. Quant à l’éclairage, j’ai utilisé des microLED qui ne chauffent pas et qui peuvent donc être encapsulés…

Qu’avez-vous appris l’une de l’autre ?

E. F. – J’ai intégré dans mon travail les impératifs de Sericyne.

Je suis allée dans les Cévennes voir l’atelier afin de mieux saisir les contrainte­s de cette technique. Un apprentiss­age passionnan­t !

C. H. – Élise a porté un regard nouveau sur notre technique. Elle a montré que nous pouvions imaginer d’autres voies, d’autres usages.

Elle nous a ouvert l’esprit.

Quels sont les liens entre artisanat et design ?

C. H. – Les deux sont intimement liés. Le design ne consiste pas seulement à dessiner des formes, à répondre à des fonctions. Il doit aussi penser des systèmes. Ainsi, Sericyne n’est pas uniquement une entreprise d’artisanat : elle repense la filière soie, son fonctionne­ment. Elle est donc partie prenante de l’univers du design.

E. F. – Je partage l’avis de Clara. Autrefois, en France, on aimait bien cataloguer les artisans et les designers. Aujourd’hui, la jeune génération ne fait plus de frontière entre les différents domaines et discipline­s. Designers et artisans repensent ensemble les processus de conception et de fabricatio­n. Le designer se retrouve parfois artisan, et l’artisan designer. La frontière est devenue poreuse.

D’autres projets ?

E. F. – On voudrait capitalise­r sur cette lampe qui, à ce jour, reste encore un objet manifeste.

Il faut maintenant que nous la rendions plus accessible. Nous réfléchiss­ons donc à une déclinaiso­n qui pourrait être commercial­isée.

C. H. – Si nous arrivons à produire cette lampe en série, à la faire distribuer, nous montrerons qu’il est possible de faire de beaux objets pour tous, fabriqués naturellem­ent.

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Lampe en soie avec microLED encapsulés.

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