Madame Figaro

LE BONHEUR, un idéal à réinventer ?

- par Marianne Chaillan ✦

Où donc est le bonheur ? « Tous les hommes recherchen­t d’être heureux », assure Pascal. Et si nous tenions là une des raisons du fait qu’ils ne le sont pas ? Certes, on ne voit pas spontanéme­nt ce qui pose problème dans la recherche du bonheur. Au contraire : croire que ce dernier existe – quand bien même cela serait imaginaire – paraît constituer un moteur puissant pour l’action et un moyen bien utile pour endurer un présent parfois douloureux. Pourtant, il suffit de songer à la définition du bonheur pour comprendre en quoi ce dernier est un aiguillon mortel fiché au coeur de l’homme. Le bonheur n’est ni le plaisir, ni la satisfacti­on, ni le bien-être, ni même la joie. Il est cet état de complétude que nous atteindrio­ns par la réalisatio­n durable et maximale en intensité de tous nos désirs. C’est un absolu. Ainsi compris, il est aisé de voir en quoi vouloir le bonheur est une exigence à la fois illusoire et toxique ! Illusoire, car désirer éterniser l’instant ou souhaiter la jouissance qui dure sont des contradict­ions dans les termes. Toxique, parce que c’est précisémen­t ce concept de bonheur qui, paradoxale­ment, nous rend très malheureux. Faites croire à quelqu’un que la complétude existe et, connaissan­t ce qui lui manque, il se jugera, à tort, très malheureux. « Soyons persuadés que le bonheur est un mythe inventé par le diable pour nous désespérer », estime ainsi Flaubert dans sa Correspond­ance, qui crée le personnage d’Emma Bovary pour mieux nous mettre en garde contre la maladie que constitue l’espoir du bonheur. Pour ne pas être très malheureux, le moyen le plus certain est de donc ne pas demander à être heureux. Sauf si la véritable illusion réside dans cette définition même du bonheur et non dans son existence ! Pour trouver le bonheur, il faut comprendre que le bonheur n’est pas la joie sans la douleur ni la vie sans la souffrance. Ce n’est pas plus le fait d’avoir réalisé son essence ou d’être parvenu à la complétude – vivre, c’est advenir sans fin. L’erreur fondamenta­le est de croire qu’il faille se libérer de la maladie, de la vieillesse, du manque, de l’angoisse et de la mort pour être heureux. Le bonheur consiste justement dans la capacité à assumer cette confrontat­ion avec la souffrance, le deuil et le manque. Le bonheur tient dans cet amour de l’incomplétu­de comme envers d’un possible sans cesse renouvelé. Au fond, le bonheur tient dans un accord donné à la vie dans toutes ses dimensions, et l’homme heureux serait celui qui, tel un marié devant l’autel, se tiendrait face à sa vie en affirmant qu’il l’accepte tout entière, pour le meilleur comme pour le pire. ✦

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