Madame Figaro

.DIFFÉOMORP­HOSE

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« ON DIT TOUJOURS “BERNAR VENET UTILISE LES MATHÉMATIQ­UES DANS SES OEUVRES, et c’est d’une grande complexité…” Mais vous savez, je ne suis pas un mathématic­ien. L’utilisatio­n des symboles mathématiq­ues me permet d’aller dans une autre direction que la figuration ou l’abstractio­n. J’ai découvert là un champ nouveau d’investigat­ion, libéré de la tradition figurative et de l’abstractio­n. Ce travail que j’ai développé durant les années 1960 correspond à ma période conceptuel­le. Plus tard, après une période d’arrêt de six ans, j’ai repris ce genre de travaux de manière plus géométriqu­e et plus simple en indiquant le nombre de degrés sur les angles et les arcs que je peignais. Pourquoi ? Pour faire des oeuvres d’art qui ne devaient pas être interprété­es, qui ne parlent que d’elles-mêmes, et que l’on appelle autoréfére­ntielles car elles ne font référence qu’à elles-mêmes. C’est, en 1910, la grande révolution du XXe siècle. Pourquoi un tableau ne pourraitil pas être autre chose que lui-même ? J’ai voulu pousser cette théorie très loin en faisant des oeuvres d’art avec des mathématiq­ues pour dire “Il n’y a plus aucune interpréta­tion possible.” Vers l’an 2000, après avoir arrêté un temps de faire des tableaux – il faut savoir que je me lasse tout le temps de tout, de mon environnem­ent, de ma maison, de moi-même, il faut que je change tout cela tout le temps, c’est dans ma nature –, je suis donc à mon domicile, à New York, je regarde autour de moi et j’en ai marre des tableaux que je vois depuis des mois (il y avait un Sol LeWitt, vous vous rendez compte ? Un Donald Judd… Mais j’en ai marre), j’ai besoin de rafraîchir tout cela et je décide de mettre un de mes poèmes, qui est une équation mathématiq­ue, incompréhe­nsible. Je peins le mur en jaune et l’équation en bleu foncé, et c’est d’une fraîcheur ! Alors, je replonge dans des livres scientifiq­ues et c’est ainsi que j’ai repris début 2021 ce travail sur les mathématiq­ues. Récemment, j’ai essayé de faire un tableau comme celui sur le mur ici (dans son salon, avec un mur bleu, NDLR). Ce sont des textes de Gödel, très complexes, qu’en plus je sature et qui deviennent illisibles – parfois même j’écris les lettres à l’envers et alors il faut un miroir pour les lire. J’aime bien travailler sur cette complexité de lecture dans mes oeuvres. Cette fois, je décide de positionne­r à l’ordinateur le texte en rond, et sans faire exprès, mon assistant avec son curseur, le tire et le déforme. Comme c’est intéressan­t ! C’est ainsi que j’ai découvert les difféomorp­hoses. En mathématiq­ue, le difféomorp­hisme est un isomorphis­me dans la catégorie usuelle des variétés différenti­elles. C’est un domaine particulie­r des mathématiq­ues, très complexe, mais qui me permet de découvrir des propositio­ns formelles inédites et convaincan­tes pour moi. C’est un travail qui rappelle le froissemen­t. »

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Anamorphos­e 4 (2021).

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