Madame Figaro

Sammy Harkham

- J. G

DEPUIS PLUS D’UNE DIZAINE D’ANNéES, Sammy Harkham tisse une toile dans le monde de la bande dessinée américaine, en tant qu’éditeur de l’importante série Kramer’s Ergot et comme scénariste et dessinateu­r de récits psychologi­ques, souvent tragicomiq­ues. Blood of the Virgin, longtemps publié en épisodes dans son comics Cricket, est un roman graphique ambitieux, narrant les (més)aventures d’un homme marié, et un peu malheureux de l’être, tentant de se trouver une place au sein de Los Angeles et de l’industrie du cinéma.

QUELLE ÉTAIT L’IDÉE DE DÉPART DE BLOOD OF THE VIRGIN ?

Je pensais à mes parents. Mon père est un immigré irakien et ma mère est une fermière néo-zélandaise. J’étais intrigué par la façon dont ils ont vécu leur relation, notamment au début de leur mariage. J’ai passé ma vie à tenter de les comprendre… Le livre terminé, j’ai pris conscience que j’avais utilisé des éléments de leur vie, comme le fait que mon père soit un immigré du Moyen-Orient. Cela m’a servi pour donner au personnage principal des traits de marginal. J’avais aussi en tête l’industrie du cinéma et ma ville, Los Angeles. J’ai eu envie d’explorer ces trois thèmes, pour voir ce qui se passe en les mêlant.

COMMENT AVEZ-VOUS COMMENCÉ À DESSINER ?

Je ne suis pas un dessinateu­r-né, je commence toujours par le récit, la narration. Quand j’étais adolescent, mes parents ont déménagé à Sydney, une ville où je n’avais pas d’amis. Ça m’a laissé du temps, et j’ai conçu des affiches pour des concerts. J’adorais la musique des groupes de l’époque, le milieu des années 1990, comme Slint, Tortoise, Will Oldham. À travers eux, j’ai découvert le graphisme et la pensée politique. Les comics faisaient partie de cette contre-culture. J’ai compris, à ce moment-là, que ce que la BD fait mieux que n’importe quel autre médium, c’est d’établir un lien direct entre l’esprit de l’auteur, sa main et le regard du lecteur. C’est unique et excitant, quand c’est réussi.

LES RELATIONS ET LES COUPLES SONT AU CENTRE DE VOTRE TRAVAIL…

Chaque dessinateu­r a son centre d’intérêt, et le mien est celui des relations que je ne cerne pas, qui m’intriguent. J’ai été marié très jeune, j’ai eu mes enfants dans la foulée et, en tant que lecteur, j’ai été attiré par des histoires de romance, inlassable­ment. Comme les films de Bergman, qui tournent tous autour de la même chose et qui sont pourtant infiniment riches.

VOTRE DESSIN ÉVOQUE SOUVENT LA LIGNE CLAIRE EUROPÉENNE. QUELS EN SONT VOS AUTEURS PRéFéRéS ?

Franquin, Morris, ou Hergé dans ses débuts, avant que ses décors ne se rigidifien­t. J’essaie de garder une ligne aussi souple que la leur : ce qui m’intéresse, ce n’est pas tant le réalisme que de parvenir à invoquer chez le lecteur la mémoire de ce qui est dessiné. La façon de représente­r un objet doit pouvoir évoquer le bruit que cet objet produit. Le labeur ne doit pas se voir, il faut simplifier, faire en sorte que le dessin ait l’air facile, même s’il a nécessité beaucoup de douleur. J’essaie d’aller vers la fluidité. ●

« Blood of the Virgin », de Sammy Harkham, Éd. Cornélius, 314 p., 35,50 €. Traduit par Éric Moreau.

 ?? ??
 ?? ?? Blood of the Virgin, de Sammy Harkham, Éditions Cornélius, 314 p., 35,50 €. Traduit par Éric Moreau.
Blood of the Virgin, de Sammy Harkham, Éditions Cornélius, 314 p., 35,50 €. Traduit par Éric Moreau.

Newspapers in French

Newspapers from France