Colombe Schneck
PEUT-ÊTRE QUE JE SUIS JALOUSE ? Est-ce que ce n’est pas humain de l’être ? Je regardais les photos dans les magazines. Elle posait petite fille, adolescente, jeune femme, avec sa soeur et sa mère, leurs beautés extraterrestres, leurs vêtements assortis. Et en plus, gentilles, cultivées, intelligentes. Violette d’Urso publie son premier livre, il est magnifique. Une enquête sur son père. Qui était-il ? Il me semble qu’il m’a fallu trente ans pour regarder mon père tel qu’elle est capable de le faire, en adulte.
La narratrice se nomme Anna, son père est mort lorsqu’elle avait 6 ans. Une toute petite fille, sa mère et ses grandes soeurs la protégeaient. Elle a grandi dans une histoire heureuse malgré l’absence. La fiction nous sauve. Ma fille était au milieu de sa lecture et m’a dit : « J’ai déjà pleuré six fois ». Le père d’Anna n’était pas le prince d’une fable italienne comme elle le croyait, il était héroïnomane. Il n’était pas un grand critique d’art, spécialiste de la Renaissance italienne, la drogue l’empêchait de travailler.
Anna voyage sur les traces de son père. De Bologne, où il a milité, à Rome, où il a vécu et où il est enterré, jusqu’à Naples, d’où vient sa famille. Grâce à ses amis, ceux qui acceptent de renoncer à la légende, ceux qui ne répètent pas comme un leitmotiv « il était drôle et charmant » sans jamais en dire plus, elle rencontre la vérité d’un être. Elle écoute, et c’est parfois un déchirement. Un drogué, c’est toujours un menteur. Elle imagine aussi, car elle est romancière, et l’histoire est pleine de trous. Dans la baie de Naples, la nuit, les pécheurs chantaient, aujourd’hui leur chant a disparu, « même le bruit de la nuit a changé ». Elle écrit : « C’est la fin de l’aventure, le début du récit. » C’est beau et juste. ●