Colombe Schneck La chronique de●
JE GARDE CHEZ MOI UN ALBUM de photos d’objets conçus par des femmes résistantes déportées à Ravensbrück, admirant ces images de la victoire de la beauté sur la destruction. Ce ne sont pas des objets utiles, au contraire. La combattante Lise London a tressé des boucles d’oreilles avec des fils électriques, la soldate Annette Chalut a taillé un soutiengorge dans le tissu à rayures des déportés. En lisant La Douceur, j’ai tout de suite pensé à ces objets apparemment futiles, comme si l’auteur en avait réussi une transposition romanesque. La résistante déportée Lily de Gerlache, qui a inspiré May de Caux, l’héroïne de ce roman, affirmait : « C’est la rose qui m’a sauvée. La rose, c’est la victoire de l’amour et de la beauté. Ma victoire sur Ravensbrück. » J’espère qu’Étienne de Montety, qui dirige les pages du Figaro littéraire, ne verra pas de provocation quand, le lisant, j’ai retrouvé ce que pensait le socialiste Léon Blum : il fallait autant se battre pour davantage de justice sociale que pour l’accès au beau pour tous. Au début de son récit, le narrateur n’en semble pas certain, il se définit « amateur de beau, de lumières éclatantes et de littérature », et craint que cela soit mal vu, il ne serait qu’« esthète, futile, égotiste ». La rencontre avec May de Caux, une élégante aristocrate, qui, à voix basse, accepte de lui raconter son passage en enfer, va le rapprocher de luimême. May de Caux ne cache rien de ses démons, la déportation est un cauchemar dont l’évocation reste douloureuse, elle a marqué son corps, l’empêchant longtemps d’être caressée. Elle permet au narrateur de tisser, dans ce pudique roman qui se révèle d’amour, un fil lumineux. La beauté devient ainsi l’élan vital qui irradie ce roman.