Madame Figaro

. Double je

Un jour naturelle, le lendemain sophistiqu­ée ou sexy… les femmes jouent avec leur apparence, Entre liberté et paradoxes. Miroir, dis-moi qui je suis…

- M. L.

SOUVENEZ-VOUS : EN SEPTEMBRE 2022, à MILAN, GUCCI FAIT DéFILER 68 JUMELLES ET JUMEAUX. Un jeu de miroirs vertigineu­x qui fait écho à nos ambivalenc­es, car, visiblemen­t, l’éternel féminin a du « plomb dans l’elle ». Qui est la femme d’aujourd’hui ? Celle des réseaux sociaux filtrée, retouchée, hypersexua­lisée, voire caricatura­le ? Ou bien la féministe pure et dure qui refuse tout signe extérieur de « joliesse » ? « Toutes à la fois, répond Stéphanie Jolivot, directrice du pôle luxe Business Intelligen­ce chez Publicis Media. La femme est plus libre, plus diverse, plus inclusive, même si elle doit constammen­t défendre ses droits. L’industrie de la beauté peut y contribuer à sa façon. D’où l’importance du mot sororité. Ce n’est pas qu’une tendance, mais aussi une forme de féminisme positif qui n’exclut pas les hommes, un élan de vitalité. » Il est vrai que, dans les publicités, les muses se sentent de moins en moins seules, comme dans la dernière campagne pour La Vie est belle de Lancôme, où Julia Roberts a plein de copines. Pour présenter son dernier parfum Ego Stratis de Juliette has a gun, Romano Ricci cite Virginia Woolf : « I am not one. I am many » (Je ne suis pas une, je suis plusieurs), en ajoutant : « Il ne me suffirait pas d’une vie pour explorer la complexité d’une femme. » Derrière les mots, se dessine le portrait d’une féminité de plus en plus multiple, mouvante, où chacune tente de construire sa propre identité, quitte à se réinventer sans cesse.

« AUJOURD’HUI, LES FEMMES peuvent jouer avec leur apparence à leur guise, commente la psychanaly­ste Sophie Braun (1), et le jeu est toujours drôle et agréable, mais en même temps plus difficile. Moins il y a de normes collective­s, plus on est dans l’autocontrô­le, avec la culpabilit­é qui va avec. Bien sûr, j’ai le sentiment qu’il est plus facile d’être un peu ronde ou âgée qu’avant, que les femmes sont un peu moins malheureus­es, mais je les sens quand même perdues, surtout les plus jeunes. Elles appartienn­ent à des groupes qui instaurent des normes aussi fortes. Freud parlait déjà du narcissism­e des petites différence­s. Il y a les deux mouvements en même temps. Plus de liberté d’un côté et plus d’intoléranc­e de l’autre, avec plein d’injonction­s paradoxale­s. » Notre experte se dit très impression­née par le phénomène des influenceu­ses qui survaloris­ent l’apparence physique (et l’argent). Une forme de régression, selon elle. Symbole ultime de cette réinventio­n permanente, le maquillage, qui vit une grande histoire d’amour avec les réseaux sociaux.

Dans son livre Make-up. Le maquillage mis à nu (2), qui vient de paraître, la journalist­e Valentine Pétry dépeint très bien ces paradoxes, les fards étant à la fois outils d’émancipati­on et d’aliénation. « Au fil des époques, on a vendu le maquillage comme indispensa­ble pour être une femme plus sexy, plus jolie, moins fatiguée, écrit-elle, puis comme un moyen d’avoir confiance en soi, de s’exprimer, de se réparer, une arme d’“empouvoire­ment”. Tout en lui reprochant de cacher la beauté naturelle, son véritable moi ou encore de tuer la planète. Trop maquillée, tu es vulgaire ; pas assez, pas féminine. Alors qu’il faudrait permettre à chacune et chacun de se maquiller ou non selon ses désirs et sans jugement. » En Occident, on serait à mi-chemin. « Le maquillage est sorti du domaine de la séduction, mais est désormais soumis à notre propre regard, qui n’a jamais été aussi aiguisé », poursuit l’auteure. Selon elle, on ne se maquille plus pour les autres, mais pour réussir sa vie et avoir l’air heureuse.

« Il ne faut pas confondre identité et apparence, reprend Sophie Braun. On veut tellement savoir qui on est. Je trouve cette question absurde. L’identité n’est pas construite une fois pour toutes. Elle est toujours en mouvement. La vie est tellement plus drôle si on découvre des choses de soi tout le temps. Il faudrait que nous acceptions l’idée que chacune représente sa part du féminin, qu’il n’y a pas d’idéal ou de modèle à atteindre. »

(1) Membre de la SFPA (Société française de psychologi­e analytique - Institut C.G. Jung) et auteure de « La Tentation du repli », aux Éditions du Mauconduit.

(2) Éditions Les Pérégrines, 240 p., 19 €.

Newspapers in French

Newspapers from France