Madame Figaro

1. marc jacobs les affinités créatives

POUR FÊTER LES 25 ANS DU SAC BAGUETTE, KIM JONES, DIRECTEUR ARTISTIQUE DE FENDI, A INVITÉ LE CRÉATEUR À UNE COLLABORAT­ION AVEC LA MAISON ITALIENNE.

-

COMME TOUS LES JOURS, MARC JACOBS TRAVAILLE DANS SON ATELIER EN PLEIN COEUR DE SOHO, à NEW YORK. Le soin minutieux jusqu’à l’extrême avec lequel il est habillé est adouci par son regard où perce une vulnérabil­ité certaine. À 59 ans, le couturier appartient à cette petite tribu de précurseur­s qui ont réussi à capturer l’air du temps et à inventer des pièces dont les femmes ne savaient pas qu’elles avaient besoin jusqu’à ce que les vêtements défilent sur les podiums. En septembre dernier, lors de la Fashion Week à New York, il s’est emparé du Hammerstei­n Ballroom pour mettre en scène une collection capsule, répondant à l’invitation du Londonien Kim Jones, directeur artistique de la mode féminine chez Fendi. L’événement célébrait le 25e anniversai­re d’une icône absolue : le Baguette Fendi, « l’un des piliers de la maison », selon le styliste anglais. Petit sac en forme d’enveloppe, créé en 1997 par Silvia Fendi, héritière de la marque, le Baguette a vu le jour à Rome, mais c’est à Manhattan qu’il a connu ses premières gloires. Arboré à l’épaule de Carrie Bradshaw – Sarah Jessica Parker dans Sex and the City –, il a absorbé l’énergie de la ville.

« Le Baguette fait partie de la culture pop, dit Kim Jones. Comme une Jordan 1, c’est une pièce classique qui pourrait être exposée au musée du design. » Kim Jones et Marc Jacobs se connaissen­t depuis longtemps : « Je ne serais pas là sans Marc », assure Kim Jones, rappelant que ce dernier l’avait engagé chez Louis Vuitton pour diriger la mode masculine. « Kim et moi poursuivon­s une conversati­on artistique ininterrom­pue, avance Marc Jacobs. J’ai été ravi qu’il me demande de réinterpré­ter le Baguette à travers une collection. » Le Baguette s’est vu réinventé à l’infini au cours du show. L’ère de liberté et d’excès qui l’a vue naître a inspiré le designer américain, qui a injecté de multiples éléments de son univers dans cette collection de vêtements pour Fendi. Rencontre.

MADAME FIGARO. – QUELLES IMAGES éVOQUE CHEZ VOUS LE SAC BAGUETTE ?

MARC JACOBS. – Le Baguette a un pouvoir persuasif, qui s’imprime dans la mémoire. Ce n’est pas « une » star, c’est « la » star à laquelle on confère une place essentiell­e. Comme tout objet iconique, la vision du Baguette porté à l’épaule suffit à produire une profusion d’images : on pense à Carrie Bradshaw se baladant dans SoHo, avec un Baguette violet. C’est sexy.

COMMENT AVEZ-VOUS TROUVé LE LANGAGE STYLISTIQU­E DE CETTE COLLABORAT­ION ?

Lorsque Kim m’a invité à célébrer les 25 ans du sac Baguette, je me suis demandé ce que je pouvais apporter à cet accessoire. La première chose que j’ai faite a été de travailler sur le logo. Les logos sont très puissants aujourd’hui. J’ai voulu combiner de façon graphique celui de Fendi au mien. Sur la boucle du Baguette, on voit une superposit­ion mélangeant la typographi­e du Tote Bag et celle de Fendi Roma. Ensuite, j’ai créé deux versions emblématiq­ues : l’une glamour, recouverte de cristaux bleu Tiffany, et l’autre toute en noir, d’un chic minimalist­e. Puis, j’ai réfléchi à d’autres couleurs, une palette de tons qui évoquent les rues de New York. Tous les matins, je traverse la 12e Avenue, et j’observe les ouvriers travailler dans des tenues argentées, jaunes ou d’autres couleurs qui se fondent dans le rythme de la ville.

VOUS DITES êTRE TOTALEMENT FASCINé PAR L’HISTOIRE DES SOEURS FENDI. QU’EST-CE QUI VOUS INSPIRE CHEZ SILVIA FENDI ?

Silvia et moi, c’est une longue histoire. Ma grand-mère paternelle, Helen, une femme élégante, achetait tous les magazines de mode, qu’elle m’a laissé lire pendant toute mon enfance. Le nom Fendi revenait sans cesse dans les pages – ainsi que celui de Karl Lagerfeld, qui y était associé. Un été, ma grandmère et moi sommes partis en vacances à Capri. Un jour, dans un restaurant chic, La Canzone del Mare, nous avons rencontré Carla Fendi. Nous sommes allés avec elle à la plage, rejoints par Egon von Fürstenber­g. J’étais un teenager, et rencontrer l’une des légendaire­s soeurs Fendi était un événement exceptionn­el. Quand Kim m’a appelé pour cette collaborat­ion et m’a présenté Silvia, j’ai eu l’impression qu’un cercle vertueux se refermait.

COMMENT AVEZ-VOUS RENCONTRé KIM JONES ?

Nous avions beaucoup d’amis en commun, sans nous être jamais croisés. Tout le monde, de Kate Moss à Katie Hillier, me disait : « Tu ne connais pas Kim ? ! » J’ai étudié son travail, et quand j’ai dû choisir un designer pour la mode homme chez Louis Vuitton, j’étais certain que Kim serait parfait.

QU’EST-CE QUI A INSPIRé LES LOOKS ARCHITECTU­RAUX DE VOS VêTEMENTS POUR FENDI ?

Au départ, j’ai replongé mon regard dans les créations de Kim. Il y avait chez lui une quête de glorificat­ion des vêtements de travail – blouses en jeans, pantalons multipoche­s. J’ai voulu porter son concept à l’extrême, imprégner la collection d’une allure urbaine et futuriste, à travers des sacs Baguette en forme de parachute, des parkas en fausse fourrure, des sweat-shirts combinés à des jupes en dentelle. J’ai exagéré les proportion­s.

Il y a quelque chose de très romantique dans cette collection. Comme les immenses chapeaux cloche, qui rendent hommage à mes collaborat­ions avec Stephen Jones.

UNE DIMENSION ROMANTIQUE… ?

L’un de mes défauts est de vouloir tout suranalyse­r. Mais, là, je me suis abandonné aux sensations : j’ai marché dans les rues de New York, je me suis imprégné de l’architectu­re qui me berce depuis l’enfance, j’ai repensé à l’héritage Fendi, à la liberté folle de Karl Lagerfeld et des années 1970. Et j’ai commencé à dessiner des centaines d’esquisses.

IL Y A QUELQUE CHOSE DE WARHOLIEN DANS LA FAçON DONT VOUS AVEZ FAIT DE VOUSMêME UNE OEUVRE D’ART…

Mon travail est une extension de moi, et je suis une extension de mon travail. J’ai toujours étudié chaque détail de mes looks, voulu m’habiller pour chaque occasion. Je procède par touches, comme un peintre ferait avec sa toile. J’ai besoin qu’on me regarde. Je veux attirer l’attention.

VOUS êTES VéNéRé PAR LADY GAGA ET RIHANNA. QUELLES JEUNES STARS DE LA MUSIQUE FONT éVOLUER LES CODES DE LA MODE ?

Je citerais avant tout Billie Eilish et Rosalía, qui transforme­nt l’image de la femme. Elles font partie d’une génération courageuse, qui n’a pas peur de se montrer sous tous ses profils. Comme Harry Styles et Bad Bunny, qui dévoilent une nouvelle façon de concevoir la masculinit­é. Leurs manifestes esthétique­s font évoluer les attitudes et les codes de la rue.

À QUEL POINT EST-IL IMPORTANT POUR VOUS D’êTRE HONNêTE, ENTIER ET TRANSPAREN­T DANS VOTRE CRéATION ?

Vous touchez un point essentiel.

Ce sont les trois qualités auxquelles j’aspire. J’ajouterais sans complexes. Quand j’étais jeune, je pensais devoir tempérer ma personnali­té, domestique­r mes goûts. Se cacher est douloureux. La plus belle chose de ma vie aujourd’hui, c’est d’être en harmonie avec celui que je suis. Bien sûr, ce parcours est moins difficile à réaliser pour quelqu’un qui, comme moi, vit dans une bulle protégée. À New York, je peux sortir avec des talons hauts et du vernis à ongles sans être agressé. Je peux parler de ma thérapie ou de chirurgie esthétique. Ce que je m’efforce de faire à travers la mode, c’est d’aider les autres à être eux-mêmes. Uniques. Il n’y a rien de plus beau.

 ?? ??
 ?? ?? Marc Jacobs et Kim Jones.
Marc Jacobs et Kim Jones.

Newspapers in French

Newspapers from France