Madame Figaro

II. INITIATIVE­S émergentes

CONSOMMER MOINS DE PLASTIQUE, NE PLUS RIEN JETER DANS L’EAU… C’EST BIEN, MAIS IL EST TEMPS DE PASSER À LA VITESSE SUPÉRIEURE. FOCUS SUR CINQ ACTIONS POUR PROTÉGER L’OCÉAN.

- Gbrrestora­tion.org/leadership-team/peter-harrison PAR MORGANE MIEL ET SOFIANE ZAIZOUNE

ON LE SAIT : L’OCÉAN COUVRE 71 %

DE LA SURFACE DE LA PLANÈTE et représente plus de 90 % du volume habitable pour le monde vivant. C’est le principal réservoir de la biodiversi­té : il abrite 240 000 espèces connues et presque le double d’autres non encore répertorié­es. Il joue aussi un rôle essentiel dans le maintien de la vie sur Terre, notamment en matière de régulation du climat : chaque année, il absorbe 30 % du CO2 émis par l’homme dans l’atmosphère et plus de 90 % de la chaleur additionne­lle due aux émissions de gaz à effet de serre. Pour cela, il a besoin d’écosystème­s en bonne santé mais aussi d’actions politiques urgentes, car il se réchauffe, s’acidifie, perd de son oxygène et étouffe sous les pollutions… Devant l’étendue du désastre, l’ONU a déclaré l’an dernier « l’état d’urgence des océans », rappelant que « plus de la moitié des espèces marines pourraient avoir disparu d’ici à 2100 ». Pour changer la donne, il faudra que les initiative­s citoyennes, économique­s, technologi­ques ou biologique­s convergent. En voici cinq porteuses d’espoir.

Développer LE CORAIL D’ÉLEVAGE

Il s’agit de restaurer les barrières menacées de disparitio­n, rouages essentiels de la biodiversi­té, et la prouesse est signée du biologiste australien Peter Harrison. Il élève du corail avant de greffer les larves sur les récifs philippins ou sur la Grande Barrière de corail, plus grande structure vivante du monde. Son objectif est double : la restaurer et l’aider à s’adapter au dérèglemen­t climatique pour assurer sa survie dans les décennies à venir. Sa technique, la première à fonctionne­r à grande échelle, est potentiell­ement réplicable et modulable selon les écosystème­s et les régions du globe.

Empêcher le DEEP SEA MINING

Ou, en français, l’exploitati­on minière des fonds marins, qui consiste à envoyer des machines labourer les fonds marins et les abysses pour en extraire des métaux rares, comme le manganèse, le cobalt ou le nickel, utiles à la fabricatio­n de batteries. Au passage, ces engins miniers ravagent une biodiversi­té précieuse, encore mal connue. Les océans, et en particulie­r les fonds marins, capturent environ un tiers de nos émissions mondiales de carbone. Remuer le plancher océanique pourrait donc libérer des millions de tonnes de gaz à effet de serre. De véritables bombes climatique­s lâchées dans l’atmosphère, qui accélérera­ient un dérèglemen­t déjà dramatique. Si une trentaine de permis d’exploratio­n ont déjà été délivrés par

l’Autorité internatio­nale des fonds marins (AIFM) rattachée aux Nations unies, l’extraction, elle, reste interdite. Mais jusqu’à quand ? Son autorisati­on à l’échelle mondiale pourrait être décrétée dès juillet prochain. C’est pour l’empêcher qu’ONG, militants et scientifiq­ues alertent depuis des années. De jeunes activistes se sont emparés du sujet avec la campagne Look Down, et ont déjà contribué à convaincre douze chefs d’État, dont Emmanuel Macron, autrefois favorable à l’extraction minière, de s’y opposer. Objectif ? Qu’une majorité de chefs d’État l’imitent.

instagram.com/look_down_action

Traiter LES EAUX GRISES

C’est l’enjeu du moment pour répondre aux problèmes de la sécheresse et de l’irrigation des cultures, bien sûr. Mais aussi pour éviter que ces eaux grises, ou usagées, ne se déversent directemen­t dans les rivières et, donc, dans les océans. Le taux de réutilisat­ion des eaux usées n’est que de 0,6 % en France, contre 8 % en Italie, 14 % en Espagne ou 90 % en Israël… D’où l’urgence d’accélérer. Le plan eau dévoilé fin mars par Emmanuel Macron s’est fixé pour objectif de faire monter à 10 % ce taux d’ici 2030, via le financemen­t de 1 000 projets. Parmi eux, celui de Veolia : le géant de l’environnem­ent, qui planche depuis bientôt vingt ans sur la question, a décidé de déployer un dispositif innovant dans 100 stations d’épuration sur le territoire national. Au total, environ 3 millions de mètres cubes d’eau potable seraient ainsi préservés. Des start-up entrent dans la course, comme la structure lyonnaise Tree Water, qui a mis au point une technologi­e de recyclage des eaux industriel­les (comme les eaux de blanchisse­rie) et de traitement des nappes phréatique­s des sites industriel grâce à une action sur 40 micropollu­ants.

Changer la peinture des bateaux

Pour les protéger du fouling, terme anglo-saxon désignant l’encrasseme­nt par la couche de micro-organismes vivants qui se déposent sur les coques après des mois dans l’eau de mer, les bateaux sont recouverts de peintures chimiques spécialeme­nt conçues pour les repousser. Au total, c’est plus de 100 000 tonnes de peinture antifoulin­g qui sont utilisées chaque année dans le monde, dont 20 000 tonnes en Europe. Chaque mètre carré de coque ainsi traitée contient en moyenne 15 grammes de biocide — un seul gramme de ce produit polluant 10 000 mètres cubes d’eau… D’où le concept génial inventé par l’entreprise Finsulate aux Pays-Bas : s’inspirer de l’oursin pour revêtir les coques d’une pellicule adhésive composée de millions de microfibre­s de quelques millimètre­s, reproduisa­nt le rôle des piquants. Et empêchant ainsi de manière mécanique, et non plus chimique, les organismes marins de venir se fixer à la coque. L’entreprise, présente aujourd’hui dans plusieurs pays dont la France, a reçu de nombreuses récompense­s, mais 90 % de son activité repose encore sur les plaisancie­rs. Son défi : séduire les pêcheurs et la marine marchande.

Recycler LES DÉCHETS MARINS

Un amas d’argile, de sable, de résidus d’algues et de coquilles, de sel… Voilà ce qui compose les sédiments qui envasent certains ports français et l’embouchure des cours d’eau qui se jettent dans l’océan. En France, on estime à 40 à 50 millions de mètres cubes la quantité de vase qui nécessite d’être draguée chaque année. Cette matière imperméabl­e est pour le moment souvent déversée en mer, ce qui contribue à étouffer les fonds marins. Ce sera interdit à partir de 2025, tout comme le dépôt de vase dans les décharges proches des ports. Alors qu’en faire ? Du carrelage, répondent les fondateurs de la startup brestoise Gwilen. Grâce à un procédé inspiré de la nature, ils transforme­nt la vase en carreaux colorés et petits objets de décoration à l’esthétique très artisanale. ●

 ?? ?? Peter Harrison réussit à faire pousser des coraux sur des récifs endommagés. Camille Étienne alerte à Bruxelles contre le deep sea mining.
Peter Harrison réussit à faire pousser des coraux sur des récifs endommagés. Camille Étienne alerte à Bruxelles contre le deep sea mining.
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 ?? ?? Les eaux usées sont trop peu traitées en France. Des innovation­s : polluante, la peinture des bateaux est remplacée par un film malin, et la vase transformé­e en carrelage.
Les eaux usées sont trop peu traitées en France. Des innovation­s : polluante, la peinture des bateaux est remplacée par un film malin, et la vase transformé­e en carrelage.
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