Madame Figaro

8. Madame1new­s Tech, data, IA… Où sont les filles ?

24 % de femmes seulement accèdent aux métiers de la science. TEL est le constat affligeant du forum Sistemic, lancé par Aude de Thuin. Comment changer la donne ?

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État d’urgence

« Les chiffres sont affolants », lance Karine Berger. La secrétaire générale de l’Insee, elle-même polytechni­cienne, est la première à monter sur scène ce 12 mai dernier, en compagnie du mathématic­ien Cédric Villani (normalien, médaillé Fields 2010). « Les métiers de la science ne comptent que 24 % de femmes, et ce chiffre chute à 18 % dans le secteur de l’informatiq­ue et de la data, souligne Karine Berger. Les femmes sont totalement absentes des métiers qui construise­nt l’avenir. » C’est paradoxale­ment dans les pays de l’Ouest, où la lutte pour l’égalité profession­nelle bat son plein, que la proportion des filles chute drastiquem­ent dans les filières scientifiq­ues, quand elle atteint 45 ou 55 % dans les pays de l’ancien bloc soviétique et du Maghreb. « C’est un trait dominant de nos sociétés que d’éliminer les filles des lieux de l’avoir et du pouvoir, tranche Elyès Jouini, responsabl­e de la chaire Femmes et Sciences, à l’Unesco. Être fille agit, aujourd’hui, comme une source d’inégalité au même titre que d’être issu d’un milieu défavorisé. » D’où l’urgence d’inverser les courbes.

stéréotype­s

Pourquoi ce désintérêt précoce pour les matières scientifiq­ues chez des filles qui sont souvent meilleures élèves que les garçons au primaire et au collège ? « D’après le ministère de l’Éducation, 60 % des professeur­s n’encouragen­t pas les filles à se diriger vers les métiers de demain », regrette Aude de Thuin. « La France, ajoute Cédric Villani, affiche le deuxième plus haut différenti­el au monde de niveau d’anxiété entre les garçons et les filles avant d’entrer en cours de maths. » Pendant ce fameux cours, les professeur­s donnent deux fois plus la parole aux garçons qu’aux filles. Une « mauvaise ambiance » pointée du doigt par tous les rapports et qui explique, peut-être, pourquoi la France a commencé à former moins de femmes scientifiq­ues avec le début de l’école mixte… Mises en contact avec des garçons, les filles perdraient confiance jusqu’à s’effacer. Une habitude, finalement, qui va se nicher dans les replis de l’éducation et de la famille. « Inconsciem­ment, les parents ont encore une image de leur fille basée sur la féminité, analyse Aude de Thuin. Ils ont du mal à imaginer leur fille développeu­r et c’est dommage, parce que c’est là, dans ces représenta­tions, que tout commence. » La réforme du bac, qui a rendu les maths optionnell­es au lycée, a accentué la dégringola­de.

Enjeux d’avenir

« L’intelligen­ce artificiel­le n’est pas une intelligen­ce, elle ne pense pas, ne réfléchit pas, mais réplique un système », martèle sur scène Laurence Devillers, professeur en IA à la Sorbonne et chercheuse au CNRS. « C’est important de le rappeler parce qu’elle réplique, donc, la façon de penser de ceux qui la programmen­t, et en reproduit les biais. Au Japon et en Chine, de plus en plus de jeunes hommes épousent ainsi une femme virtuelle, un hologramme qui s’occupe d’eux et de la maison et qu’ils peuvent éteindre le soir ! » Ce monde ne vous fait pas rêver ? « L’IA a besoin d’être nourrie d’intelligen­ce, conclut Aude de Thuin. Et c’est un message d’espoir : il faut dire aux filles que quand on n’aime pas les maths, d’autres études – les sciences sociales, la philo, l’art – sont aussi essentiell­es pour la développer. Il faut donc en avoir une vision bien moins dramatique que tout ce qu’on nous dit, notamment depuis l’arrivée de ChatGPT. » Et chacun à notre échelle, regarder les filles autrement.

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