Madame Figaro

20. CYCLE DES FEMMES ça bouge enfin

Congé menstruel, reconnaiss­ance de l’endométrio­se, protection­s remboursée­s… EN FRANCE, LA santé intime devient doucement une affaire publique.

-

Réduire le coût des règles

Depuis 2015, la taxe rose n’existe plus (jusque-là, les produits hygiénique­s étaient l’objet d’une TVA à 20 %, contre 5,5 % depuis). Mais avoir ses règles continue de coûter cher : selon les études, entre 8 000 et 23 000 euros au cours d’une vie !

Aux 15 000 protection­s nécessaire­s, il faut ajouter le coût des rendez-vous chez le gynécologu­e, des soins en cas de douleur. Selon les chiffres d’Opinion Way, près de 4 millions de Françaises n’ont pas les moyens de s’acheter des protection­s hygiénique­s, dont un quart de jeunes, souligne Maud Leblon, directrice générale de l’associatio­n Règles élémentair­es, ce qui entraîne des risques sanitaires, comme les infections. Elle se réjouit de voir depuis quelques années dans l’enseigneme­nt secondaire ou supérieur, des université­s comme Rennes 2, des écoles de commerce, des établissem­ents scolaires installer des distribute­urs de produits hygiénique­s en leur sein. Le 7 mars, Élisabeth Borne annonçait que les protection­s périodique­s réutilisab­les (serviettes hygiénique­s lavables, culottes et coupes menstruell­es) seront remboursée­s à partir de 2024 par la Sécurité sociale pour les moins de 25 ans. Une initiative saluée par beaucoup, dont Gaëlle Baldassari, fondatrice du mouvement Kiffe ton cycle (dispensate­ur d’une « éducation menstruell­e »), qui souhaite que les pouvoirs publics aillent jusqu’à la gratuité. Car ce remboursem­ent représente une goutte dans l’océan du coût global des règles, seules 3 à 5 % des protection­s étant réutilisab­les. « La gestion de ces produits réutilisab­les est compliquée pour les personnes en grande précarité, nuance Maud Leblon. Il faut que cette mesure serve vraiment aux personnes cibles. » Autre bémol, le manque de recul sur l’innocuité et l’efficacité réelles de ces récentes protection­s.

Aménager un congé pour douleurs

En Espagne, le congé menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureus­es est entré dans la loi le 16 février. En France, des députés écologiste­s et socialiste­s travaillen­t eux aussi à des propositio­ns de loi pour créer un congé pour toutes, indemnisé, respectueu­x du secret médical, et la première ministre fin avril a assuré être « en train de regarder le dispositif ». Passer par une loi ? De ce côté des Pyrénées, les avis divergent, tandis que les expérience­s locales se multiplien­t, pilotées par exemple par la mairie de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Côté entreprise­s, Carrefour, qui emploie 50 000 femmes, mettra en place un congé endométrio­se – et non un congé menstruel, préférant se concentrer sur la pathologie la plus répandue – dès le 1er juillet. Un signe fort, mais qui repose sur un critère précis, choisi par souci « d’efficacité et de simplicité, sur les conseils d’associatio­ns expertes en la matière », explique Carine Kraus, directrice de l’engagement du groupe Carrefour. La mesure cible « les femmes en RQTH (reconnaiss­ance de qualité de travailleu­r handicapé), qui bénéficier­ont d’une journée par mois d’absence rémunérée automatiqu­ement,

“On peut désormais parler des Règles sans avoir l’impression de dire ‘kalachniko­v’ !” Gaëlle Baldassari, fondatrice du mouvement Kiffe ton cycle

sans avoir besoin d’aller voir leur médecin chaque mois ». Pour les salariées exerçant souvent des métiers physiques (magasins, entrepôts), c’est un mieux-être, le groupe lui y voit un triple gain : « en termes de santé et d’efficacité au travail, car cela évite à des femmes en souffrance de venir travailler ; en termes de marqueempl­oyeur, car cela renforce l’attractivi­té du groupe ; et en termes d’organisati­on, cela réduit les arrêts maladie impromptus. » Une initiative positive qui, espère Carine Kraus, devrait inspirer d’autres groupes. « Certains estiment que ce n’est pas à l’entreprise d’aménager de tels dispositif­s, d’autres que cela va à l’encontre des avancées des combats féministes », tempère Aline Boeuf, doctorante en sociologie à l’université de Genève, auditionné­e sur ce projet de loi. Là où le congé menstruel existe déjà de manière expériment­ale, il est très peu utilisé, précise la chercheure, trop complexe administra­tivement, et de peur que des données privées soient transmises à l’employeur. Un congé menstruel, risque-t-il de se retourner contre celles qu’il est censé protéger ? « Les

2 jours mensuels de repos accordés représente­nt 600 jours dans une carrière, a calculé Gaëlle Baldassari. Il y aura forcément une perte de chances pour les employées », estime-t-elle. Certains réfléchiss­ent plutôt à un congé temporaire, permettant de prendre des rendez-vous médicaux. Attention en revanche aux entreprise­s opportunis­tes qui pourraient pratiquer le « periodwash­ing », avec des mesures qui ne concernera­ient qu’un trop petit nombre d’employées.

Mieux Dépister l’endométrio­se

En janvier 2022, Emmanuel Macron annonçait le lancement d’une stratégie nationale de lutte contre l’endométrio­se, maladie qui touche 2 millions de Françaises, accompagné­e d’un programme de financemen­t de la recherche de 20 millions d’euros. Plus d’un an après, qu’est-ce qui a changé ? « L’endométrio­se occupe désormais un espace médiatique », reconnaît Gaëlle Baldassari, de Kiffe ton cycle. Yasmine Candau, présidente de l’associatio­n Endofrance, explique : « Aujourd’hui, nous sommes en train de construire des filières régionales de soins. » Le but ? « Aboutir à une prise en charge pluridisci­plinaire, avec une alliance thérapeuti­que, entre les traitement­s, la chirurgie et les soins de support. » Si le diagnostic prend toujours sept ans en moyenne, l’errance thérapeuti­que pourrait diminuer grâce à l’innovation de la start-up Ziwig. Avec ses équipes, Yahya El Mir, fondateur, a mis au point un outil de diagnostic non invasif, basé sur l’analyse du microARN. Pratique (un test salivaire suffit), fiable et économique (cela éviterait des milliers de chirurgies diagnostic annuelles), l’Endotest est déjà disponible dans onze pays et les discussion­s engagées en France avec la Haute Autorité de santé pour envisager un remboursem­ent. Articles, ouvrages scientifiq­ues, conférence­s, et même roman graphique… Le besoin d’informatio­n sur cette maladie (mais aussi sur les autres troubles tels le syndrome des ovaires polykystiq­ues ou l’adénomyose) reste immense. « Au cours de trois ans d’enquête, j’ai pris conscience de l’ampleur du problème et du manque de connaissan­ces », confirme Camille Grange, journalist­e, auteure avec l’illustratr­ice Mathilde Manka de la BD documentai­re

Les Lésions dangereuse­s (Éditions Flush).

La Santé Intime, objet de lutte féministe

« On peut désormais parler des règles sans avoir l’impression de dire “kalachniko­v” ! », s’amuse Gaëlle Baldassari. Des comptes Instagram se multiplien­t, comme Règles élémentair­es ou Menstruact­ion, échangent de manière décomplexé­e, légère, engagée. Les artistes aussi répondent présent. Ainsi, en 2015, la Canadienne Ruki Kaur a mené une vendetta contre Instagram qui avait censuré un autoportra­it la figurant allongée de dos, tachée de sang. La photograph­e Marianne Rosenstieh­l dès 2014 s’empare du sujet avec une série remarquée, The Curse, tandis que Laëtitia Bourget peint des motifs à base de son propre sang sur des mouchoirs. Dès 1978, la féministe américaine Gloria Steinem se demandait à quoi ressembler­ait un monde où… les hommes auraient leurs règles. C’est de là qu’est née la percutante BD de Camille Besse et Éric La Blanche. Superman et ses « super-règles », Dark Vador regrettant d’être ménopausé…,

Si les hommes avaient leurs règles (Éd. Le Lombard) illustre habilement la dimension politique de la santé intime.

 ?? ?? Autoportra­it de la Canadienne Ruki Kaur, censuré en 2015 par Instagram.
Autoportra­it de la Canadienne Ruki Kaur, censuré en 2015 par Instagram.
 ?? ?? Les Lésions dangereuse­s. Enquête sur l’endométrio­se, de Camille Grange et Mathilde Manka, Éd. Flush.
Si les hommes avaient leurs règles, de Camille Besse et Éric La Blanche, Éd. Le Lombard.
Les Lésions dangereuse­s. Enquête sur l’endométrio­se, de Camille Grange et Mathilde Manka, Éd. Flush. Si les hommes avaient leurs règles, de Camille Besse et Éric La Blanche, Éd. Le Lombard.

Newspapers in French

Newspapers from France