GOURMANDISE et obsession
RACHEL EST UNE JEUNE FILLE QUI A FAIT DE LA RESTRICTION CALORIQUE SA RELIGION.
Elle mange casher, mais surtout cachée, évitant religieusement les déjeuners d’affaires et les sorties entre amis : « Quand je tenais jusqu’à 11 heures sans manger, je me sentais […] presque une sainte. » Elle dort tard pour repousser le moment de se nourrir, mâche des chewinggums à la nicotine au petit-déjeuner, ronge ses ongles ou mange des glaçons en guise d’en-cas. À force de maigrir, la jeune femme est en train de disparaître. Autour d’elle et en elle s’est créé un grand vide, gastrique certes, mais aussi spirituel, social et sexuel. Lorsque adolescente elle se confiait à sa mère sur ses troubles alimentaires, cette dernière lui rétorquait : « Les anorexiques sont bien plus maigres que toi. » Sur les conseils de sa psy, Rachel doit enfin éradiquer l’ingrédient toxique de son régime, une détox maternelle de 90 jours devrait l’aider à avancer sur le chemin de l’acceptation de soi. Un jour, alors qu’elle s’apprête à commander son yaourt glacé à 0 %, une silhouette callipyge XL se présente à la place du vendeur habituel. Miriam est opulente oui, mais si vivante. Le signe divin qu’attendait Rachel se manifeste alors dans ces formes girondes et une pluie de perles en sucre sur sa crème glacée, qui lui donnent subitement envie de renouer avec les plaisirs de la vie et, surtout, de la chair… Il y a, ici, de quoi dévorer : de la bienpensance hachée menu, de savoureux dialogues et quelques scènes délicieusement décadentes. Melissa Broder parvient à lier le culinaire au littéraire et la tristesse à l’hilarité, dans ce roman éminemment féministe sur une femme qui s’autorise enfin tous ses « plaisirs coupables ». À table ! Ce livre s’engloutit en une bouchée, sans aucune culpabilité. ●